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Lire également, du même auteur, dans le cadre de ce colloque, la synthèse de ce texte.
L'eau est au cœur du développement durable, au somment de la Terre à Johannesburg qui vient de se terminer.
La Directive-cadre sur l'eau élaborée par l'Union européenne (JOCE 22-12-2000) préconise une démarche décentralisée au niveau des bassins hydrologiques nationaux ou transfrontaliers.
La France s'est engagée depuis une trentaine d'années dans un vaste chantier de dépollution des fleuves et rivières en application de la "loi sur l'eau" de 1964. La création de 6 agences de l'eau responsables d'un bassin hydrographique a constitué une des grandes actions de cette première loi française de protection de l'environnement. Elles mettent en œuvre une gestion interne et durable de la ressource en eau dans laquelle la réduction des pollutions et l'amélioration de la gestion des ouvrages (réseaux d'assainissement, stations d'épuration) constituent bien sûr des priorités essentielles.
Secteur très décentralisé, la gestion de l'eau "à la française" est de la responsabilité
des collectivités territoriales : nos 36 000 communes. La Directive-cadre les contraint à passer d'une obligation de moyens (lutter contre la pollution) à une obligation de résultats (assurer que les actions entreprises sont suffisantes pour obtenir les résultats escomptés).
À l'aube des VIIIème programmes, le Président Jacques Oudin a souhaité savoir où on en
est aujourd'hui de l'assainissement des collectivités, ce qui reste à faire et combien ça va
coûter.
Ce questionnement simple n'a pas de réponses simples hélas, je témoigne ici, des nombreux contacts et des nombreuses recherches que j'ai dû entreprendre pour vous présenter
aujourd'hui des éléments de réponses. Non pas que les ministères, fédérations, associations,
instituts et divers organismes ne se soient pas intéressés à ces sujets, chacun dispose de
nombreuses données, mais la tâche consiste justement à essayer de regrouper et synthétiser les
éléments dont chacun dispose. L'essai que je vais vous présenter sera donc imparfait,
critiquable, j'espère qu'il permettra d'ouvrir ici et pour l'avenir un débat pour parfaire cet
inventaire de l'existant et du reste à investir.
LE CONTEXTE SPECIFIQUE AUX COLLECTIVITES LOCALES
Les collectivités locales sont confrontées à des évolutions et modifications de décisions : évolution de la population et de l'urbanisation, transposition des directives
européennes et notamment lois sur l'eau, élaboration du SDAGE, évolution du prix de l'eau,
prise de conscience forte des consommateurs.
Les collectivités locales ont ainsi à faire face à des pressions :
Pressions sur les milieux
L'évolution des populations est l'un des indicateurs de ces pressions : démographie, communes rurales/communes urbaines
(l'INSEE considère comme urbaines les communes de plus de 2 000 habitants), pression urbaine, population saisonnière.
Pressions réglementaires
Responsabilité en matière d'assainissement collectif et ses obligations générales :
- l'assainissement sur l'ensemble du territoire avant le 31 décembre 2005 ;
- obligations renforcées dans les zones sensibles et littorales ;
- obligations de résultats ;
- procédures d'autorisations administratives complexes et longues.
Préoccupations croissantes sur le devenir des boues
Transfert de compétences entre les DASS et les communes en matière d'assainissement
autonome (cf. loi sur l'eau du 03 janvier 1992) et schémas d'assainissement et zonages.
Pressions financières et économiques
Le prix de l'eau a augmenté : des règles de gestion sont imposées (affichage de la vérité
des prix), normes de qualité imposée pour une meilleure protection du milieu.
L'évolution du prix de l'eau : c'est désormais, en incluant la redevance pollution des
agences, l'assainissement qui constitue le premier poste de la facture 6 + 3 = 9 F/m3 TTC sur
le prix moyen devenu 17 F/m3 TTC en 1999 - cf. enquête nationale du Ministère des Finances
de 1991 à 1997 = +61% service de l'eau + 29%, service de l'assainissement +58%, taxes et
redevances +179%.
Pressions socio-politiques
Contraintes juridiques et politiques : du fait des décentralisations successives les
collectivités territoriales ont de plus en plus de responsabilités, leurs obligations de définir des priorités ne placent pas forcément la gestion de l'eau dans les premières places.
Besoin de transparence (cf. loi Sapin), la montée autour des années 1995 des affaires
qui mettaient en cause des sociétés d'eau en est l'illustration.
Inquiétude des Français vis à vis de l'eau : le prix que l'on paie est-il légitime ? Et à
quelle qualité et sécurité a-t-on droit pour le prix que l'on paie ?
S'agissant de l'assainissement pris au sens large, et pour le débat d'aujourd'hui on
admettra que la dépollution des eaux selon le plan suivant abordera :
- les schémas d'assainissement,
- les réseaux d'assainissement collectif,
- les stations d'épuration et gestion des boues,
- l'assainissement non-collectif,
- l'amélioration du fonctionnement des installations existantes,
- les eaux de pluie, collecte et dépollution,
- la gestion du patrimoine existant.
LES SCHEMAS D'ASSAINISSEMENT
Chacune de nos communes est tenue d'établir un schéma dit zonage d'assainissement définissant en particulier les zones qui seront traitées en assainissement collectif (à travers un
réseau séparatif) et celles qui resteront en assainissement non collectif. Les toutes dernières années (cf. inventaire FNDAE 2000 comparé à 1995) il est apparu une forte croissance de ces études et une poursuite des besoins, encore élevés pour quelques années.
Rappelons les coûts moyens des études diagnostics permettant d'aboutir aux zonages puis aux schémas d'assainissement :
Agglomérations |
< 2000 habitants
2000 à 5000 habitants
5000 à 10 000 habitants |
Coût par habitant |
30,5 ?
11,5 ?
8,4 ? |
LES RESEAUX D'ASSAINISSEMENT COLLECTIF
Il est admis que 47 millions d'habitants (soit 80% des 58,5 millions du recensement 1999) sont desservis par 250 000 km de canalisations d'eau usée (ratio 5,3 ml par habitant desservi).
Pour les communes rurales, les perspectives d'évolution des besoins des collectivités
(cf. ministère de l'Agriculture, résultats de l'inventaire FNDAE) font apparaître pour les 5
années 2000 à 2004, des besoins annuels d'amélioration de la collecte de 750 millions
d'euros. Cela correspond à la réalisation d'environ 3 000 km de canalisations pour réseaux
manquants ou à renforcer, au prix moyen de 258 000 euros le kilomètre.
Pour les communes urbaines, les besoins correspondent à des viabilisations nouvelles
puisque les travaux de première desserte sont le plus souvent achevés. Il se construit
cependant annuellement en France, environ 300 000 logements neufs dont 80 000 individuels,
pas étonnant donc que les extensions de réseaux soient de l'ordre de 2 500 km par an, au prix
d'environ 305 000 € le kilomètre pour les seules eaux usées (chiffre agence de l'eau Seine-
Normandie). Si l'on tient compte qu'il s'agit normalement de réseaux séparatifs, cela
correspond à un investissement annuel de l'ordre de 1 milliard d'euros par an.
STATIONS D'EPURATION ET GESTION DES BOUES
Pour les communes rurales les chiffres de l'inventaire FNDAE, besoins 2000-2004 font
apparaître un besoin annuel de 440 millions d'euros. Ce chiffre comprend les augmentations
de la qualité ou des capacités des stations d'épuration, il inclut aussi probablement pour partie des travaux de gros renouvellement visant la satisfaction des obligations de la directive-cadre.
Il convient donc d'éviter les double-comptes avec les besoins de renouvellement qui seront
abordés ci-après.
Pour les communes urbaines les bases permettant d'établir des chiffres fiables
manquent, on peut retenir cependant, des besoins importants pour le traitement de la filière
boues (séchage et dans certains cas, incinération) qui s'avèrent coûteux. Les quantités de
boues à traiter augmentent rapidement du fait de l'augmentation de la population et des
raccordements, de l'amélioration de la qualité des traitements et de la (lente) progression des traitements des rejets de temps de pluie.
La quantité produite, en matière sèche annuellement, est déjà voisine de 1 million de
tonnes, elle atteindra rapidement 1,1 à 1,3 millions de tonnes dès 2005.
2% des stations urbaines (>50 000 EH -
équivalent-habitant-) représentent 50% de la production de boues et 85% de celles de <5000 EH représentent moins de 16% de boues. 19 départements produisent 51% du tonnage total. L'Île-de-France en produit 22% et les communes littorales 11% à elles seules. Cela traduit à la fois la très forte densité de population des zones littorales (272 hab./km²), comparée à la moyenne nationale (108) et l'effort consenti en matière d'assainissement en raison de l'enjeu de la qualité des rejets d'eaux usées en zone littorale.
L'épandage agricole reste la filière privilégiée d'élimination des boues (65% du tonnage) mais ne concerne que 2% de la SAU (Surface Agricole Utile), l'incinération représente 15% du tonnage, la mise en décharge encore 20 à 25%. Ce dernier chiffre est à prendre en considération puisque la loi du 13 juillet 1992 sur les déchets semble interdire à
compter de 2002 la mise en décharge des boues urbaines.
L'ASSAINISSEMENT NON-COLLECTIF
L'assainissement domestique en France est majoritairement réalisé à partir de systèmes
collectifs, d'après le recensement de 1999 le taux de desserte des logements est de 81,5% ; les 18,5% restant doivent donc se doter d'un assainissement autonome, 16,5% sont déjà équipés,
mais une majorité ne seraient pas conformes et 2% rejettent encore leurs eaux usées
directement dans le milieu.
C'est dorénavant les communes qui sont en charge du contrôle de la conformité des systèmes non collectifs. En 1998 (cf. enquête IFEN) 40% du nombre des communes de métropole, regroupant 7% de la population ne prennent pas en compte l'assainissement collectif ; cela concerne 11 millions d'habitants répartis pour 70% en maisons individuelles situées dans des hameaux non desservis de communes assainies collectivement, et 30% dans des communes sans service collectif de collecte.
Les installations neuves mises en place seraient de l'ordre de 100 000 par an (coût unitaire de l'ordre de 3 800 €), il faudrait en réhabiliter environ 200 000 par an pendant 10 ans
pour assurer la conformité des installations existantes (coût unitaire de l'ordre de 5 400
euros).
Lorsque l'équipement est régulièrement entretenu et bien réalisé en sol favorable, cette
technique respecte tout à fait l'environnement.
La réglementation prévoit que les communes doivent organiser un contrôle de la conformité et de l'entretien de ces installations avant le 31 décembre 2005.
L'AMELIORATION DU FONCTIONNEMENT DES INSTALLATIONS EXISTANTES
Il reste bien des efforts à faire, sur les réseaux existants, il s'agit de supprimer les fuites et les rejets hors station, de contrôler et rectifier les branchements non conformes, il s'agit de tâches répétitives, nécessitant des personnels spécialisés.
En 1999, année la plus récente pour laquelle des informations sont disponibles, le rendement d'épuration moyen des stations de plus de 10 000 EH atteint 88% pour les matières organiques (exprimées en
demande biochimique d'oxygène en 5 jours (DBO5) de 60 grammes par jour), 47% pour l'azote réduit et 50% pour le phosphore. Malgré la progression constante des performances enregistrées depuis le début des années 80, des efforts importants restent à consentir pour achever "la mise aux normes européennes". On estime ainsi, les retards en moyenne de 4 à 5 ans, mais ils pourraient atteindre 10 ans dans certains cas.
Des démarches qualité sont engagées sous l'impulsion des agences de bassin avec des
partenaires : collectivités locales, SATESE, administrations, maîtres d'œuvre, entreprises, etc. tant pour les réseaux que les stations, elles doivent être poursuivies, aidées, encouragées.
EAUX DE PLUIE, COLLECTE ET DEPOLLUTION
Face aux problèmes posés par les inondations d'une part, et la pollution transportée par
les rejets de temps de pluie d'autre part, aujourd'hui certaines agglomérations développent
des techniques alternatives de gestion au plus près de la source.
Partant des constats "plus on transporte l'eau, plus cela coûte cher et plus elle est
polluée" on se dit que "concentrer les eaux est toujours une mauvaise solution". Ainsi, des
dispositions alternatives, pour certaines déjà anciennes, ont été mises en œuvre par exemple :
par la communauté urbaine de Bordeaux, au syndicat intercommunal de la région de Douai, à
Rennes et en Seine-Saint-Denis...
Les techniques alternatives consistent à déconcentrer les flux en s'aidant des surfaces
sur lesquelles ils se produisent pour leur donner un rôle régulateur basé sur la rétention et sur l'infiltration des eaux de pluie. Il s'agit d'utiliser au mieux les cheminements que prenait l'eau avant l'urbanisation et, en bref, retarder le transfert de l'eau vers les exutoires de surface et/ou faciliter son infiltration.
Des systèmes existent, ils permettent de réduire, de façon significative des pointes de
débit, ainsi que la masse de pollution déversée. Citons : bassins de retenue en surface ou
souterrains avec ou sans équipement de dépollution -bassins d'infiltration-tranchées et
puits d'infiltration -chaussées à structure réservoir-micro-stockages-fossés et noues-toits stockant, etc.
Pour une ville de 100 000 habitants on évalue la pollution véhiculée par les eaux pluviales comme suit :
|
% pollution |
% débit |
Habitat Industries, commerces, services
Voiries routières et ferrées |
33 25
42 |
45 20
35 |
À l'échelle nationale le ministère chargé de l'environnement évalue le coût par habitant
de 300 à 380 euros pour la maîtrise de l'eau pluviale.
Soit un coût total France entière de 14 milliards d'euros pour le milieu bâti, si on considère que le réalisé est de l'ordre de 15%, le reste à réaliser est de l'ordre de 10 milliards
d'euros, soit pour un délai de réalisation de 20 ans, un investissement annuel de l'ordre de
500 millions d'euros.
Mais il ne faudra pas négliger les coûts d'entretien qui pour ces systèmes sont très onéreux.
GESTION DU PATRIMOINE EXISTANT
Le vieillissement des équipements entraîne des fuites importantes, mal décelées en
assainissement, mais qui réduisent fortement l'efficacité de l'épuration.
Or, nous avons en France en milieu urbain historique des canalisations et ouvrages connexes très anciens ; les villes ont en effet été "assainies" par la réalisation de réseaux
collecteurs destinés à recevoir toutes les eaux. Le "tout-à-l'égout" a été réalisé pour partie
dans la seconde moitié au 19ème siècle, ainsi à Paris ce réseau a été conçu et réalisé par
l'ingénieur Belgrand dans le cadre des grands travaux d'Haussmann.
Sur les 250 000 km de conduites d'eaux usées de l'ensemble de la France métropolitaine, (valeur à neuf 64,5 milliards d'euros), 118 600 km ont plus de 40 ans, leur renouvellement devrait avoir lieu avant 2042 si on retient une durée de vie de 80 ans. Le renouvelleme nt est resté jusqu'à présent marginal, on peut donc retenir l'hypothèse selon laquelle 30,6 milliards d'euros devraient être investis lors de cette première phase (coût du maître linéaire retenu 258 euros). Le besoin de financement annuel apparaît donc à 0,7 milliards d'euros jusqu'en 2042.
S'agissant des stations d'épuration, dont la valeur du parc des 15 425 unités (chiffres
1998) est estimée à 12,6 milliards d'euros, les besoins pour les communes rurales sont estimés
pour le renouvellement à 65 millions d'euros par an. Pour les communes urbaines, le parc est
souvent beaucoup plus ancien, 30% des plus de 10 000 EH auront plus de 30 ans en 2005.
Le rythme des besoins annuels de renouvellement ne devrait pas être inférieur, pour la
dizaine d'années à venir, à 535 millions d'euros environ, incluant le cas d'Achères.
Au total ce poste des stations d'épuration est donc estimé à 0,6 milliards d'euros par an.
CONCLUSION
Malgré les efforts consentis pour les rejets ponctuels d'origine industrielle et
domestique, à ce jour seulement 53% de nos cours d'eau respectent leurs objectifs de qualité
fixés, même si les mauvais résultats constatés sur les 47% restant ont également pour origine
les pollutions diffuses d'origine agricole. Les résultats des mesures montrent qu'en 1999, la
qualité des eaux superficielles est bonne ou très bonne pour environ 40% des 500 stations de
mesure des paramètres nitrates, matières organiques et phosphore, mais reste mauvaise pour
environ 20% des mêmes points de mesure.
La protection sanitaire des populations et la préservation de nos systèmes aquatiques
passent donc par la poursuite des efforts engagés pour améliorer les performances des réseaux
publics de collecte et des ouvrages d'épuration des eaux usées.
Mais ainsi que le révèle le BIPE, ECOLOC 2001 (publication du ministère chargé de
l'environnement, CDC, ADEME) après une enquête auprès des communes et groupement de
communes de plus de 700 habitants, et exploitations, de 1100 réponses :
L'assainissement-épuration constitue, avec la collecte et le traitement des déchets, la
principale priorité des collectivités locales en termes d'investissements
environnementaux à moyen terme. Les 3/4 affichent des perspectives de croissance des
investissements d'ici 2006 dans ce domaine. Pour 4 collectivités sur 10 cette hausse sera
supérieure à 5% par an, le traitement des boues apparaît être leur préoccupation
majeure.
De quoi être optimiste ... si les moyens correspondants sont effectivement disponibles
et à la hauteur des enjeux !
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