Discours de M. Koïchiro Matsuura
Directeur général de l'Organisation des Nations Unies
pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO)
Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Président du Conseil mondial de l'eau,
Messieurs les Présidents des associations des anciens élèves de l'Institut National Agronomique de Paris, de l'Ecole Nationale d'Administration et de l'Ecole Polytechnique,
Mesdames et Messieurs,
C'est un grand plaisir pour moi que d'être parmi vous aujourd'hui. Le privilège qui m'est donné ici de m'adresser devant les anciens élèves de certaines des plus Grandes Ecoles françaises me comble et me donne une occasion de vous dire combien les Nations Unies, et tout particulièrement l'UNESCO, sont à l'unisson de vos préoccupations concernant la crise actuelle de la gestion des ressources en eau dans le monde.
Je n'apprendrai rien aux dirigeants et aux hauts fonctionnaires que vous êtes en disant que gouverner ou diriger, c'est prévoir et prévenir. Aussi convient-il de reconnaître que la période de changement climatique dans laquelle nous sommes entrés impose un renforcement sensible des moyens d'intervention et un fort volontarisme politique pour faire face à des conflits ou catastrophes qui s'éprouvent au quotidien de façon toujours plus dramatique.
Pour ainsi dire, nous nous trouvons dans la même situation que lorsque nous traitons de la lutte contre le réchauffement climatique, de la lutte contre la pauvreté ou de la réduction de la fracture numérique : nous sommes placés devant l'évidence de la co-responsabilité de la communauté internationale et conduits à nous interroger sur notre capacité à inventer de nouveaux principes de solidarité ou de mécanismes de coopération internationale.
Certes, la communauté internationale a pris la mesure des enjeux et se mobilise en conséquence depuis quelques années déjà pour faire face de façon plus concertée aux nouvelles perspectives liées à l'utilisation, à la disponibilité et à la qualité de l'eau douce.
Les deux premiers Forums mondiaux de l'eau, à Marrakech en 1997 et à La Haye en 2000, organisés par le Conseil mondial de l'eau dont nous allons entendre le Président tout à l'heure, ont eu précisément pour mérite de mettre en perspective les inquiétudes nouvelles liées à une gestion inéquitable de l'eau. Ces préoccupations ont, parallèlement, été largement relayées par le Sommet du Millénaire en 2000 à New York et le Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg l'année dernière. Enfin, cette année 2003 a été déclarée par l'Assemblée générale des Nations Unies " Année internationale de l'eau douce ".
Cette mobilisation collective est plus nécessaire que jamais, car c'est ainsi que nous parviendrons à diffuser les principes d'une culture de concertation et de partage sans lesquels il ne peut réellement y avoir de gestion intégrée de l'eau ou de politique de développement durable, indispensables à la sécurité humaine.
L'UNESCO, pour sa part, tente d'agir très en amont sur le front du renforcement des capacités humaines, éducatives et institutionnelles, en faisant notamment prévaloir une réflexion sur la gestion préventive des risques et la protection durable de la biodiversité. Nous pensons en effet que c'est là une façon décisive d'aider à la mise en œuvre de méthodes intégrées de gestion de l'eau et de la terre, tout en tenant compte des différentes dynamiques sociales et culturelles à l'œuvre dans les sociétés concernées.
Pour répondre à cette demande, l'
UNESCO a mis en place divers instruments et programmes scientifiques de haut niveau, tels que le
Programme hydrologique international (PHI), développé dès les années 1970, qui œuvre actuellement à une meilleure connaissance des risques encourus par les écosystèmes vulnérables liés à l'eau et à la diffusion adaptée de bonnes méthodes de gestion des ressources en eau.
Dans le cadre de nos priorités stratégiques actuelles nous avons été conduits à mettre l'accent sur " l'eau et les écosystèmes associés " pour favoriser des stratégies conjuguées de gestion de l'eau, des terres et de la biodiversité.
Au-delà, il me paraît fondamental de consolider les réseaux d'enseignement et de recherche directement impliqués dans le renforcement des capacités humaines et techniques et capables d'accéder au dialogue politique au plus haut niveau. C'est dans cet esprit que nous avons ainsi récemment intégré à l'UNESCO l'
Institut spécialisé d'éducation relative à l'eau, situé à Delft, aux Pays-Bas, qui est reconnu depuis longtemps comme une institution scientifique de très haut niveau dans le domaine de la gestion des ressources en eau.
En l'occurrence, mon objectif présent est de faire en sorte que cet institut puisse à la fois servir de centre intégré de formation de professionnels de l'eau, un lieu de ressource pour les instituts de formation des pays en développement et en transition dans les différents domaines de l'eau, de l'environnement et des infrastructures, ainsi qu'un réseau mondial d'échanges entre tous les partenaires, publics et privés, du secteur de l'eau dans les 190 Etats membres de l'UNESCO.
J'insiste sur ce point, car les récentes catastrophes naturelles et inondations nous ont appris que celles-ci sont tout particulièrement aggravées par la trop grande indifférence à l'environnement des politiques d'urbanisation et de gestion des espaces naturels. Comme le montre le vaste champ d'intervention de cet Institut, je pense donc que c'est en valorisant une vision globale de nos responsabilités que nous saurons adapter nos outils d'éducation et de recherche aux besoins des différentes collectivités concernées.
Bien sûr, pour atteindre un tel objectif, il faut pouvoir fonder son action sur des techniques, des indicateurs et des bases de données fiables, qui donnent à chacun des moyens d'agir efficacement sur la gestion et l'évaluation des ressources en eau.
C'est là également l'un des domaines que l'UNESCO a choisi d'investir. Suite à la demande faite aux institutions des Nations Unies de mieux identifier et surveiller les problèmes les plus graves liés à l'eau, l'UNESCO assure en effet aujourd'hui le Secrétariat du
Programme mondial pour l'évaluation des ressources en eau (WWAP), qui regroupe 24 agences, programmes et commissions des Nations Unies concernés par les problèmes de l'eau.
Créé en 2000, ce Programme mondial travaille sur la base de données aussi complètes que possible et son produit principal consiste en un rapport mondial sur la mise en valeur des ressources en eau, afin d'assurer une évaluation minutieuse des progrès accomplis et aider à l'élaboration de politiques nationales de gestion intégrée et d'utilisation efficace de l'eau. La première version de ce Rapport a été publiée cette année.
Cette fonction de veille et d'anticipation me paraît toujours plus essentielle et doit reposer sur une coordination étroite des mécanismes d'évaluation. C'est ce que nous devons, ensemble, nous efforcer de développer à l'échelle mondiale.
Mesdames et Messieurs,
Qu'il s'agisse de nos capacités d'évaluation, de l'aide au développement de plans d'action nationaux, du renforcement de l'éducation relative à l'eau ou de la promotion d'une gestion respectueuse de la nature et de la biodiversité, nous constatons qu'une politique fiable et crédible ne peut se bâtir que sur des principes de solidarité et de responsabilité.
Ce principe de responsabilité à l'égard de ce qui est fragile et vulnérable, me semble t-il, est un principe normatif absolu qui doit être placé au cœur de nos pratiques politiques. C'est une responsabilité qui concerne les conséquences à venir de nos actes présents et désigne le devoir de prévoir, dès maintenant, leurs effets dans le futur. Ainsi, elle nous rappelle à quel point notre appartenance à une humanité commune nous rend responsables à l'égard des générations futures.
L'eau douce, chacun le sait, est une ressource naturelle aussi vitale que fragile. Il nous revient donc d'établir à l'échelle mondiale des règles du jeu transparentes, durables et respectueuses du consensus émergent qui fait de l'eau un " bien commun de l'humanité ".
Je vous remercie et vous souhaite des travaux très fructueux.
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