Colloque - Lundi 12 mars 2001
Espace François Mitterrand - Agen-Boé (Lot-et-Garonne)
organisé par la revue Réussir Fruits & Légumes
Sommaire
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Cette page est consacrée à l'intervention de Monsieur Yves Lacoste, géographe
Les quatre civilisations de l'eau
Dans les décennies qui viennent, le problème de l'eau et de sa répartition va se faire de plus en plus épineux. La gestion de cette ressource essentielle à la vie doit être appréhendée dans sa dimension planétaire, estime Yves Lacoste, géographe, spécialiste de géopolitique. Pour lui, quatre grandes civilisations agricoles se partagent le monde avec chacune sa conception de l'usage de l'eau, en fonction de son histoire, de ses conditions de vie.
"Actuellement, tout le monde se soucie de l'effet de serre, considéré comme un facteur de transformation des conditions climatiques à l'échelle du globe à moyen terme", constate Yves Lacoste. Les conséquences, si l'on en croit nombre de climatologues et de média, se traduiront par un réchauffement de la planète et donc un phénomène d'aridité très important.
"Il n'est pas évident que cette augmentation des températures moyennes s'accompagne d'un phénomène général d'aridité", estime Yves Lacoste.
Et il s'explique :
"L'augmentation de l'évaporation des océans devrait entraîner un accroissement des précipitations sur toute une partie du globe". Quoiqu'il en soit, l'eau va devenir une denrée de plus en plus convoitée dans certaines parties du monde. Plusieurs raisons à cela : l'accroissement de l'aridité et l'augmentation de la démographie.
En plus, la population va se concentrer dans les villes où les besoins en eau sont d'autant plus importants qu'il y a nécessité d'évacuer tous les déchets produits et que cette population va voir son niveau de vie s'accroître.
"Un bon indicateur de cette amélioration du niveau est d'ailleurs l'augmentation de la consommation en fruits et légumes", indique Yves Lacoste. Cette concurrence pour la ressource en eau va se développer entre Etats (géopolitique classique), entre des provinces (par exemple en Espagne), entre des grandes villes d'un même état.
"Los Angeles est alimentée avec de l'eau provenant de l'ouest du Canada et refuse que d'autres villes se branchent sur ses canalisations".
AGRICULTURE JARDINATOIRE
"Le monde peut être subdivisé du point de vue de l'eau en quatre grands groupes" mentionne Yves Lacoste.
Selon les pays, les hommes font un usage de l'eau très différent. Ces civilisations notamment quant à l'utilisation qu'elles font de l'eau remontent à plusieurs milliers d'années mais leur influence reste encore considérable aujourd'hui, tant par les formes d'organisation de l'espace agricole qu'elles ont réalisé que par les conceptions de centaines de millions de cultivateurs qui, même en les modernisant, continuent les savoir-faire légués par leurs ancêtres.
Le premier concerne le plus grand nombre d'agriculteurs : c'est la civilisation hydraulique située en Asie du sud et en Extrême-Orient.
"Sur cet espace assez restreint, vivent 2,7 milliards d'hommes". Ici, pas question de pénurie en eau. La seule hantise de ces paysans à l'agriculture "jardinatoire" est celle d'inondations catastrophiques, que leur récolte soit noyée. L'essentiel de ces populations est concentré dans des vallées de grands fleuves qui coulent au-dessus du niveau des plaines, sur les remblais issus d'une érosion très importante, explique Yves Lacoste. Pour occuper ces vallées, il a fallu construire des digues qui parfois cassent, provoquant des crues.
"Ces civilisations ont dû construire des mécanismes hydrauliques pour vivre. Leur principal souci étant d'évacuer l'eau de leurs champs et leur crainte est que les changements climatiques n'augmentent encore le niveau des précipitations".
Deuxième grand type de civilisation : les sociétés d'irrigation. Celles-ci se sont organisées en vue de la nécessité de combattre la sécheresse. "Je ne pense pas que l'aridité attendue ait des conséquences très graves sur ces civilisations déjà très équipées. Mais dans ces régions, les concurrences sur l'eau sont très graves". Les eaux issues des montagnes de Turquie ont donné naissance aux civilisations de Mésopotamie. Jusqu'ici, il n'y a pas eu de problèmes. Mais actuellement, les techniques de génie civil se développent et des barrages se construisent, ce qui permet de stocker les volumes qui auparavant descendaient vers les plaines. Résultat : les relations entre la Turquie, la Syrie et l'Irak se sont détériorées. "Les problèmes de pénurie d'eau sont d'autant plus dangereux qu'ils se combinent avec un jeu géopolitique plus ou moins compliqué".
"UN PARADOXE PRODUCTIF"
Les civilisations de l'Afrique tropicale sont des populations qui jusqu'ici ne géraient pas la ressource en eau. Celles-ci ont toujours pratiqué la culture sur brûlis , un système qui fonctionnait bien tant que la croissance démographique restait faible. Aujourd'hui, la population augmente fortement et les cultures sont désormais destinées à l'exportation. Les surfaces deviennent trop limitées et les sols se dégradent très rapidement. Cette civilisation jusqu'ici cantonnée dans les hauts plateaux se voit contrainte de descendre dans les vallées et de mettre en place des systèmes de production plus intensifs. Mais le problème est que ces vallées, durant la saison des pluies sont submergées, faute de digues construites.
"Le problème de mise en valeur des ressources en eau est devenu un enjeu considérable pour ces populations sous peine de catastrophes", estime Yves Lacoste.
Les civilisations agricoles européennes utilisent l'eau une fois qu'elle a pénétré dans le sol et qu'elle est stockée dans les nappes profondes. Cette civilisation est confrontée à des problèmes d'eau de plus en plus importants, conséquence d'une forte hausse de la population urbaine. L'agriculture européenne a réalisé d'énormes progrès de rendement grâce aux engrais mais les eaux de ruissellement, ayant de fortes concentrations en nitrates ne sont plus considérées comme consommables.
La production de fruits et légumes augmente ce qui nécessite une nouvelle gestion de l'eau. Ces problèmes d'eau sont donc au cœur de l'actualité.
"Nous sommes dans un paradoxe productif", estime Yves Lacoste. La civilisation hydraulique va vers une production intensive de fruits et légumes ce qui va entraîner de nouvelles concurrences notamment avec la civilisation agricole européenne. Dans le même temps, les besoins en volume des urbains augmente en même temps que leur désir d'une eau de qualité. "Des soucis nouveaux apparaissent : il va falloir réglementer les conditions d'utilisation des eaux mais aussi voir dans quelles conditions va être restituée l'eau au milieu naturel (recyclage, épuration...). Une stratégie cohérente va devoir être mise en place sur des espaces de plus en plus grands".
Claudine GALBRUN
Journaliste pour la revue Réussir Fruits & Légumes
Considéré comme le "rénovateur" de ce que l'on appelle aujourd'hui, la géopolitique, Yves Lacoste bataille toujours pour sortir la géographie d'une vision étriquée de l'étude du sol et non de l'état. A 68 ans, récemment honoré au Festival de géographie de Saint Die des Vosges, ce professeur à Paris VIII (2) pousse toujours les géographes à reconquérir le terrain politique.
L'homme qui proclama en 1972, au grand dame de certains collègues que la géographie "ça sert d'abord à faire la guerre" portera son analyse et sa réflexion sur " l'eau, enjeu du 3ème millénaire". Prenant les dimensions politique, démographique, économique, climatique, environnementale, Yves Lacoste démontrera l'importance stratégique d'un bien précieux de plus en plus convoité, source de conflit mais indispensable à l'agriculture et à la vie.
(2) Yves Lacoste est également fondateur de la revue de géographie Herodote.
Site internet de la revue Réussir Fruits & Légumes :
www.reussirfl.com
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