C’est bien entendu l’un des tout premiers objectifs visé par les hydro-aménagements qui avait d’ailleurs motivé la déclaration en 1996 du directeur général de la FAO, Jacques Diouf, pour qui " l’une des conditions indispensables pour combler le déficit alimentaire africain est d’axer les efforts sur la mise en valeur des eaux ".
Au delà de la simple construction matérielle d’un hydro-aménagement, beaucoup d’obstacles restent à franchir, en particulier l’adaptation des populations à de nouveaux modes de production dont les contraintes sont parfois énormes, comparées aux traditionnelles cultures vivrières : nouvelles technologies, gestion de l’eau, gestion des intrants, commercialisation des productions, autant de contraintes qui nécessitent de s’intégrer dans un nouveau système de production collectif et non plus individuel.
Par ailleurs, il n’y a pas nécessairement concordance entre l’augmentation des disponibilités alimentaires et l’amélioration des situations nutritionnelles, surtout pour les jeunes enfants. En effet, beaucoup d’autres paramètres interviennent : nouvelles typologies alimentaires, nouveaux besoins, nouvelle répartition des tâches, nouvelle organisation sociale, etc…
Si les décideurs ne planifient pas une gestion intégrée de ces hydro-aménagements, il y aura toujours beaucoup trop d’exemples où les résultats resteront très éloignés des objectifs initiaux. La réussite de la révolution verte en Afrique dépend en partie de l'adoption de cette approche intégrée.
Faut-il favoriser les grands barrages ou les petits aménagements hydro-agricoles pour préserver l'environnement ?
On observer une tendance très nette actuellement sur la scène internationale pour privilégier les petits hydro-aménagements. Il ne s’agit pas uniquement de mieux préserver l’environnement mais les nombreuses contraintes économiques, sociales, démographiques, comportementales ou sanitaires sont beaucoup plus faciles à surmonter lorsque les projets se situent au niveau d’un village ou d’une communauté.
En témoignent les énormes problèmes et difficultés rencontrés par les grands projets africains tels que le barrage d’Assouan ou les barrages sur le fleuve Sénégal ou encore les aménagements de l’Office du Niger.
Quels changements démographiques et socio-culturels l'irrigation peut-elle provoquer ?
Tout projet d’irrigation s’accompagne de nombreux changements dans le mode de vie des populations .
Sur le plan démographique, on observe presque toujours des déplacements de population, en relation directe avec la taille du projet. Ceci entraîne une réorganisation sociale qui, associée à un nouveau contexte économique et de nouvelles infrastructures, peut s’accompagner d’une diminution des taux de natalité, parfois de mortalité (si l’accès aux soins est amélioré), de nouveaux comportements nuptiaux etc….
On observe aussi fréquemment une nouvelle répartition des tâches. Généralement, en Afrique, les activités liées à l’irrigation (riziculture, maraîchiculture) impliquent beaucoup plus les femmes et donc les mères, ce qui s’accompagne très souvent de nouveaux modes d’alimentation pour les jeunes enfants (sevrage plus précoce, nouvelle alimentation de complément…) et donc de nouvelles situations nutritionnelles.
Dans quelle mesure le développement des aménagements agricoles et de l'irrigation est-il responsable de la recrudescence des maladies transmissibles liées à l'eau (paludisme, onchocercose, bilharzioses, draconculose) ?
Ces maladies sont avant tout dépendantes des vecteurs eux-mêmes qui ne peuvent vivre ou se reproduire que s’il y a de l’eau :
**les larves des anophèles (vecteurs du paludisme) ou des simulies (vecteurs de l’onchocercose) ne se développent qu’en milieu aquatique
**les mollusques vecteurs des bilharzioses ou de la draconculose vivent eux-mêmes directement dans l’eau.
Mais il est important également de considérer les nouveaux contacts homme-eau. Ceux-ci peuvent être liés tout simplement à la proximité des points d’eau : il est par exemple bien mis en évidence une relation directe entre la distance des habitations par rapport à l’eau et le nombre de piqûres d’anophèles. Les types d’activités entre aussi en ligne de compte : le parasite des bilharzioses ne pénètre à travers la peau que si l’individu séjourne dans l’eau (baignade, lessive, travaux de riziculture etc…).
Il faut penser également au rôle très important de l’eau comme vecteur potentiel de germes à l’origine de l’une des principales causes de morbidité et de mortalité chez les jeunes enfants, à savoir les maladies diarrhéiques.
Enfin, il ne faut pas négliger d’autres maladies infectieuses qui, même si elle ne sont pas liées à l’eau, peuvent être influencées indirectement par les hydro-aménagements suite aux phénomènes migratoires qui les accompagnent : c’est le cas en particulier du SIDA, des maladies sexuellement transmissibles ou de la tuberculose.
Comment limiter l'essor de ces maladies tout en gardant un accès à l'eau ?
Plusieurs types d’action complémentaires peuvent et doivent être prises :
- encourager la construction des habitations à distance des points d’eau ;
- construire des canaux d’irrigation limitant la reproduction des vecteurs ;
- assurer la fourniture en eau potable ;
- mettre à la disposition des populations les traitements curatifs et préventifs spécifiques ;
- gérer l’élimination des déchets ;
- prévoir des latrines ;
- informer et éduquer les populations.
Comment sensibiliser les décideurs sur l’importance de prendre en considération les risques socio-sanitaires liés aux hydro-aménagements ?
Ce point est essentiel et c'est pourquoi, à l'issue du colloque, un guide pratique sera réalisé à l'intention des décideurs. En effet, même si les risques sanitaires en relation avec l’eau sont généralement connus, les aménageurs eux-mêmes les considèrent encore trop souvent comme secondaires et estiment la plupart du temps qu’il suffit de construire des centres de santé pour pouvoir les contrôler.
Il est donc nécessaire de pouvoir établir un véritable dialogue entre scientifiques d’une part, et décideurs, aménageurs et bailleurs de fonds d’autre part, ce qui est l’un des principaux objectifs du Colloque " Eau/Santé-Ouaga 2000 ". Il faut que les chercheurs soient à l’écoute des décideurs qui ont leurs propres contraintes et c’est seulement ainsi que les résultats de la recherche pourront être traduits en termes véritablement opérationnels.
Haut de page
Retour page Eau et Ressources