Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Quand on regarde dans quel état on a mis la planète, et sans vouloir offenser qui que ce soit, on peut se poser la question de savoir si nous sommes civilisés en profondeur. Et je laisse à votre appréciation la réponse. Mais quand même, toute la nature, toute la planète ne cesse de protester contre la barbarie de l’homme et nous nous obstinons à étouffer ce cri de détresse.
Ceci étant dit, compte tenu de l’irruption pour le moins récente, cher Yves Coppens, de l’homme à la surface de la planète, si l’on admet que l’évolution est une compétition, alors l’humanité n’est pas loin de triompher en éliminant peu à peu chaque espèce animale et végétale qui nous y a précédée.
Mais j’ai bien peur que nous n’ayons même pas le temps de savourer notre succès. Car cette idée que nous pourrions détacher indûment notre branche de l’arbre de la création, cette idée que nous pourrions tirer notre épingle du jeu, faire cavalier seul dans ce chaos que nous aurions provoqué, est probablement la pire mais certainement l’ultime vanité.
Dois-je vous rappeler que la vie a commencé par une coopération entre atomes d’abord, puis entre molécules ensuite, et que ce principe immuable de solidarité a accompagné la vie jusqu’ici et que nous voudrions, nous les Hommes, rompre ce principe immuable impunément.
Et puisqu’on parle de solidarité, vous savez, l’éleveur de chameaux au Darfour, ne saura jamais que nous nous sommes réunis ce matin mais il sait déjà cruellement et tragiquement ce que un degré d’élévation de température dans la bande sahélienne signifie. Et l’histoire récente a été cinglante et démonstrative.
Mais vous savez, l’indien Kayapo, au milieu de sa forêt amazonienne, il ne saura même pas que nous nous sommes réunis ce matin, mais il sait déjà cruellement et tragiquement ce que signifie la disparition de ce territoire, quel sacrilège et quel préjudice inestimable et irréversible cela signifie. Et l’habitant de l’archipel de Tuvalu, il ne saura pas que nous nous sommes réunis ici ce matin, mais il sait également ce que signifie concrètement l’élévation de quelques dizaines de centimètres de l’océan.
Alors, je voudrais que nous cessions, tous ensemble, de faire, ce que j’appelle, le tri des larmes. Les larmes de là-bas ne valent pas moins que les larmes d’ici. Les larmes de demain n’ont pas moins de valeur que les larmes d’aujourd’hui.
Gardons à l’esprit que, toujours et toujours, ceux qui subissent et qui subiront en premier les conséquences des désordres climatiques et écologiques, ce sont toujours les mêmes et rarement, ceux qui les ont provoqués. Mais n’oublions jamais que si on laisse les phénomènes s’emballer sans agir dessus, aucun statut social, politique, économique, religieux, ne nous immunisera contre les conséquences en cascade des changements climatiques.
Gardons également à l’esprit qu’aucune démocratie, aucun système économique, social, ne pourra résister à la combinaison de la pauvreté, de l’effondrement des ressources naturelles et des conséquences du changement climatique.
Ceci étant dit, je voudrais, en contrechamp, nous rappeler que l’injonction écologique qui vient, brutalement et soudainement, charger un peu plus le fardeau de l’humanité. Cette injonction n’est désespérante que si nous laissons l’avenir décider à notre place, en d’autres termes, que si nous laissons le fatalisme d’aujourd’hui consacrer la fatalité de demain. Nous devons impérativement agir pour un avenir qui dépasse la durée de notre existence. C’est la manifestation ultime de notre humanité et de l’unicité de l’homme. J’ai tendance à penser que demeurer humain ne devrait pas être une tâche aussi accablante que cela.
L’impératif écologique et climatique nous oblige, et c’est tant mieux, à mobiliser le génie humain et nous n’en manquons pas. Mais il nous procure une occasion inespérée de redonner du sens au progrès. Il nous oblige à nous réconcilier immédiatement autour de cette communauté de destin qui vient de se rappeler à nous.
Je voudrais, pour terminer, dire, ce qui a été dit d’ailleurs différemment, que l’heure n’est plus tant à la prise de conscience, que l’urgence n’est plus à la connaissance, mais que l’urgence est à l’action immédiate, partagée, coordonnée et que seule la volonté commune nous fait défaut.
Enfin, n’oublions pas qu’en ces temps de pénurie énergétique, il y a une énergie renouvelable que nous n’utilisons pas assez : c’est l’énergie de l’amour.
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