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Mise en ligne le dimanche 15 octobre 2006
La Banque mondiale en procès sur le lieu même de ses engagements
Synopsis
Melé est chanteuse dans un bar, son mari Chaka est sans travail, leur couple se déchire ...
Dans la cour de la maison qu'ils partagent avec d'autres familles, un tribunal a été installé.
Des représentants de la société civile africaine ont engagé une procédure judiciaire contre la Banque mondiale et le FMI qu'ils jugent responsables du drame qui secoue l'Afrique.
Entre plaidoiries et témoignages, la vie continue dans la cour.
Chaka semble indifférent à cette volonté inédite de l'Afrique de réclamer ses droits...
un film de
Abderrahmane Sissako
Né en 1961 à Kiffa, en Mauritanie. Après une enfance au Mali et un
bref retour en Mauritanie, il part en Union Soviétique afin de suivre
des études de cinéma au VGIK, l'Institut fédéral d'État du Cinéma, à
Moscou. Il y étudiera de 1983 à 1989.
Sortie nationale française le 18 octobre 2006
Festival de Cannes, sélection officielle
Rencontres Paris Cinéma 2006 : Grand Prix du public
ENTRETIEN AVEC
ABDERRAHMANE SISSAKO (extraits)
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/ Comment est né ce projet ?
Ce film est d'abord lié au désir de
tourner dans la maison de mon père,
aujourd'hui disparu.
Cette maison se trouve à Bamako,
dans le quartier populaire d'Hamdallaye.
C'est une maison simple, construite en
terre. Dans la cour se côtoient, depuis
des années, un robinet et un puits. Ici,
l'eau coûte cher, et pour faire des économies,
mon père a fait creuser un
puits.
C'est dans cette cour que j'ai grandi,
avec mes nombreux frères, soeurs, cousins,
cousines, tantes, oncles, parents
proches et lointains. Jamais nous
n'avons été moins de vingt-cinq à dormir,
à manger, à apprendre, à vivre presque
à tour de rôle.
Aujourd'hui, la plupart d'entre nous a
quitté cette maison pour vivre ailleurs ;
pour autant la maison ne désemplit
pas… De nouveaux cousins, cousines,
parents proches ou lointains y vivent,
vont à l'école ou abandonnent pour
s'accrocher à un petit boulot de survie.
Pour moi, cette maison est liée au
souvenir de discussions passionnées
avec mon père sur l'Afrique.
L'autre raison qui m'a poussé à faire
ce film tient à mon regard sur l'Afrique,
l'Afrique non pas comme le continent qui est le mien mais comme un espace
d'injustices qui m'atteignent directement.
Quand on vit sur un continent où
l'acte de faire un film est rare et difficile,
on se dit qu'on peut parler au nom
des autres : face à la gravité de la situation
africaine, j'ai ressenti une forme
d'urgence à évoquer l'hypocrisie du
Nord vis-à-vis des pays du Sud.
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/ Ce qui frappe, c'est précisément la vie
qui continue tout autour du tribunal :
des femmes teignent des étoffes, une
mère soigne sa petite fille, un couple
se déchire, un autre se marie...
J'ai développé ces intrigues secondaires
parce que je voulais que la vie des habitants
de la cour fasse écho ou interfère avec la parole délivrée à la barre. Les
débats du procès illustrent une forme
d'intelligence qui monopolise toute
l'attention et il fallait impérativement
que cette érudition du propos soit
relativisée par ces vies qui continuent
tout autour de la cour.
Les gens qui gravitent autour du tribunal
croient au procès mais n'attendent
rien de son verdict. Parlant de
l'Occident, l'un des témoins m'a dit
pour m'encourager : “Au moins, ils sauront
que nous savons.”
/ Peut-on dire que ce procès a une
vertu cathartique ?
La vraie question est là : aucune juridiction
n'existe pour remettre en question
le pouvoir des plus forts. Il ne
s'agissait pas tant de désigner les coupables
que de dénoncer le fait que le
destin de centaines de millions de gens
est scellé par des politiques décidées
en dehors de leur univers. Cela renvoie
à la déclaration d'Aminata Traoré, l'une
des témoins, qui refuse de considérer
que la principale caractéristique de
l'Afrique est sa pauvreté : non, dit-elle,
l'Afrique est plutôt victime de ses
richesses !
Je voulais donc donner de mon
continent une autre image que celle
des guerres et des famines. C'est en cela
que la création artistique est utile, non
pas pour changer le monde, mais pour
rendre l'impossible vraisemblable,
comme ce procès des institutions
financières internationales.
/ Comment avez-vous élaboré les
“dialogues” du procès ?
Il faut savoir que j'ai fait appel à des
magistrats et avocats professionnels et
à de véritables témoins. J'ai eu une longue
préparation avec eux. J'ai déterminé
le cadre des débats puis je les ai
mis en situation. Au moment du tournage,
je leur ai laissé une grande liberté
pour témoigner, accuser ou défendre.
Certains témoins ont été choisis
parmi les victimes des fameux "ajustements
structurels" de la Banque mondiale
et du FMI : ce sont ceux qu'on
appelle les "compressés", les "déflatés",
les "ajustés", comme ces anciens fonctionnaires
qui se sont retrouvés au chômage
parce que les services publics ont
été privatisés et cédés à des multinationales
occidentales... Ces "témoins"
avaient le sentiment qu'un authentique
procès se déroulait et ont donc déclaré
à la barre ce qu'ils avaient sur le coeur.
Là encore, je n'ai rien inventé.
La dette : repères
Créés au lendemain de la seconde
guerre mondiale à Bretton
Woods (Etats-Unis) et basés à
Washington, le FMI et la Banque
Mondiale ont aujourd'hui pour missions
principales la régulation du système
financier international et l'octroi de
prêts aux pays en développement.
Face aux difficultés de nombreux
pays à rembourser leur dette, les pays
riches ont exigé au début des années
1980 la mise en place de programmes
dits “d'ajustement structurel”, fixant
ainsi les règles du jeu dont dépend le
sort de millions de personnes.
Les gouvernements des pays très endettés
se sont alors vus dicter par les
représentants des institutions financières
internationales la politique à suivre
pour rétablir leur équilibre financier. La
plupart des pays d'Afrique subsaharienne
se trouvent aujourd'hui sous
ajustement structurel. D'inspiration
très libérale, les programmes d'ajustement
servent principalement les intérêts
des pays riches, Etats-Unis et Europe en
tête. Les réformes imposées aux pays
du Sud sont toujours les mêmes alors
que, paradoxalement, elles sont loin
d'être appliquées dans les pays du Nord :
suppression des subventions accordées
par l'Etat (agriculture, textile, ...), démantèlement
des services publics, licenciement
des fonctionnaires (instituteurs,
médecins, ...).
Les privatisations des sociétés nationales
des pays endettés, qui géraient
notamment les richesses naturelles, l'eau,
l'électricité, les moyens de communication
et de télécommunication, sont
presque toujours effectuées au profit
des multinationales des pays riches.
Les contrats, négociés dans un
contexte où se mêlent pressions politiques
et corruption, sont systématiquement
en faveur des multinationales.
Dans le même temps, les populations
des pays placés sous ajustement structurel
n'ont cessé de s'appauvrir, avec
pour conséquences la diminution de
l'espérance de vie, l'augmentation du
taux de mortalité infantile, la baisse du
taux d'alphabétisation.
La quasi totalité des rapports officiels
soulignent que les “pays pauvres très
endettés” sont plus pauvres aujourd'hui
qu'il y a vingt ans.
Or, si l'on tient compte de l'ensemble
des flux financiers et des transferts
de richesses, les pays africains ont
fait plus que rembourser leur dette aux
pays riches. Beaucoup d'entre eux ont dû
tout céder et ne pourront plus assurer
leur développement futur.
L'annulation éventuelle et tardive de
la dette apparaît désormais comme un
leurre.
Abderrahmane Sissako
La Banque mondiale vue par elle-même
Son slogan : ""Œuvrer pour un monde sans pauvreté""
""La Banque mondiale est une source essentielle d'appui financier et technique pour l'ensemble des pays en développement. Ce n'est pas une banque au sens ordinaire du terme. Notre organisation se compose de deux organismes de développement distincts, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et l'Association internationale de développement (IDA), et est sous le contrôle de ses 184 pays membres. La BIRD et l'IDA contribuent chacune d'une manière différente mais complémentaire à notre mission, qui est de réduire la pauvreté et d'améliorer le niveau de vie des populations à travers le monde. La BIRD s'occupe des pays à revenu intermédiaire et des pays pauvres solvables, alors que l'IDA se consacre aux pays les plus pauvres de la planète. Par leur intermédiaire, nous accordons aux pays en développement des prêts à faible intérêt, des crédits ne portant pas intérêt et des dons dans des domaines très divers — éducation, santé, infrastructure, communications et autres.""
Président: Paul Wolfowitz
Banque mondiale:
Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) et Association internationale de développement (IDA) .
Autres membres du Groupe Banque mondiale:
Société financière internationale (SFI)
Agence multilatérale de garantie des investissements (MIGA)
Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements
Membres: 184 pays
Siège:
Washington, États-Unis, et des bureaux dans plus de 100 pays
Personnel: Environ 10 000 employés répartis à travers le monde
Date de création:
1er juillet 1944, à la conférence de Bretton Woods (new Hampshire)
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