A certains endroits, les eaux du Gange sont tellement polluées qu'aucune vie aquatique n'y est possible. Pourtant depuis des années, des sommes astronomiques sont versées pour sauver le fleuve sacré.
Chaque jour, la capitale religieuse de l'Inde voit environ 60 000 Indiens - et quelques Occidentaux qui se veulent plus Indiens que les Indiens - se baigner dans les eaux sacrées du Gange. Savent-ils seulement que le long des 7 kilomètres qui longent Varanasi, une trentaine d'égoûts se déversent continuellement dans le fleuve ? Certains l'ignorent certes, mais ce n'est sûrement pas le cas de Mohant Veer Bhadra Mishra, ancien directeur du département de génie civil et professeur d'hydrolique à la Benaras Hindu University, et à la fois Mohant (" prêtre en chef ") du fameux temple Mochan Sankat.
Proclamé l'un des sept " héros de la planète " par Times magazine en 1999 pour son engagement en faveur de la rédemption du Gange par le biais de l'ONG qu'il a fondée en 1982, la Mochan Sankat Foundation (MSF), le saint homme sait de quoi il en ressort puisque son laboratoire analyse des échantillons du fleuve recueillis devant ses bureaux du Tulsi ghat sur une base quotidienne. Néanmoins, tous les jours après la prière, le professeur Mishra se baigne dans les eaux sacrées ; c'est que la foi l'emporte sur la science. " Pour les hindous, le Gange est une déesse ; elle est notre Mère à tous. Elle purifie, cure, absous. " explique-t-il.
Choléra, hépatites, diarrhées...
Pourtant, le Gange est tellement pollué qu'à certains endroits, l'eau ne contient plus d'oxygène - rendant toute vit aquatique impossible - et le taux de bactéries coliformes, provenant des excréments humains, avoisine les 1.5 millions par 100 ml d'eau. Alors que pour la baignade, selon l'Organisation mondiale de la santé, ce chiffre ne devrait pas dépasser les 500 et pour être bue, l'eau ne devrait en contenir aucune. C'est précisément la bactérie coliforme qui est à l'origine des maladies liées à l'eau : choléra, hépatites, diarrhées, problèmes cutanés… Mascha Jesehonke, une jeune volontaire allemande en stage chez MSF, raconte comment par le passé, des villages entiers, situés en aval du fleuve, sont tombés malades : " Cette catastrophe a entraîné non seulement la mort de milliers de personnes, mais une véritable malédiction socio-économique pour ces villageois dont plus personne ne voulait épouser les femmes, ni acheter les productions agricoles. "
Depuis, des mesures ont été prises, pour le meilleur et pour le pire. Sous la pression de l'intense lobbying de la MSF - et grâce aux contacts privilégiés du Mohant avec la famille Gandhi - quelques 25 millions de dollars US, provenant non seulement des gouvernements indiens, mais d'organisations étrangères , ont été dépensés entre 1986 et 1993 pour améliorer la piètre santé du Gange. Paradoxalement, selon les analyses faites par la SMF, celle-ci est pire aujourd'hui qu'il y a dix ans, contrairement à ce que Delhi a laissé entendre. S'appuyant sur des analyses faites au centre du fleuve, nettement moins pollué que les abords où s'agglutinent les baigneurs, les autorités ont fait savoir à la population que la Phase 1 du Ganga Action Plan (GAP) avait remporté un franc succès et que la baignade n'était plus risquée...
Planification grotesque
Dans le cadre de cette première phase de nettoyage, initiée par l'ancien premier ministre, Rajiv Gandhi, un crématoire, trois usines d'épuration et des pompes électriques ont été construits entre 1986 et 1993 à Varanasi. Bons joueurs, les habitants de la ville sainte ont accepté d'avoir recours au crématoire pour incinérer leurs morts et l'on ne voit plus de corps flotter dans le fleuve comme auparavant. En revanche, le tout n'est pas concluant car " à Varanasi, l'on connaît entre 6 et 8 heures de coupure de courant par jour, relève pertinemment Mohant Veer Bhadra Mishra, et aucun générateur n'est prévu ". Du coup, près d'un tiers des égoûts se déversent sans traitement dans le fleuve. Quand on sait que toute l'eau sale de la ville va au Gange et que 60% de l'eau qui alimente la ville provient du Gange...
Logiquement, beaucoup de citoyens se demandent comment il est possible de disposer de sommes aussi considérables pour guérir le Gange, sans jamais obtenir de résultats probants. Pour Rohif Joshi, coordonateur de projet à la MSF, " la corruption à tous les niveaux empêche les progrès et certains n'ont pas intérêt à ce que le problème se règle car l'argent arrêterait de couler… ". Il n'est cependant pas totalement pessimiste et avance que dans cinq ou six ans, la santé du fleuve pourrait être rétablie " à condition de prendre les bonnes décisions maintenant ". Or, malgré l'annonce en grande pompe par le gouvernement national en mars, lors de la journée annuelle consacrée au Gange, de la coopération japonaise pour poursuivre l'entreprise de nettoyage, la Phase 2 du GAP - qui consiste en l'installation d'un système d'épuration fondé sur une technologie qui utilise la force de gravité plutôt que l'électricité - n'a toujours pas été initiée. Les querelles entre les différents paliers de gouvernements et la MSF qui traînent au Tribunal n'accélèreront en rien le processus…
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