[28/05/2004]
Monsieur
le Commissaire,
Messieurs les Présidents,
Monsieur l’Administrateur général,
Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Quand j’ai pris mes nouvelles fonctions, il y
bientôt deux mois, je n’ai pas imaginé
que je serais conduit aussi vite à me replonger
dans un sujet qui m’avait passionné et
énormément mobilisé et en même
temps inquiété, il y a huit ans, lors
de la « première crise de la vache folle
». C’est donc avec beaucoup de plaisir,
et aussi, je l’avoue, avec une grande émotion
que je prends la parole aujourd’hui pour fêter
l’inauguration de la nouvelle plate-forme de recherche
dédiée aux maladies à prions et
le lancement du réseau d’excellence européen
Neuroprion qui fait honneur à l’espace
européen de la Recherche.
Mon émotion, elle est surtout
due à l’absence aujourd’hui d’une
grande figure de la science française et internationale,
le Professeur Dominique Dormont, qui fut pendant près
de dix ans le Chef du Service de Neurovirologie, ici
à Fontenay-aux-Roses. Son travail scientifique,
son expertise, son énergie inépuisable,
mis au service de l’État, ont largement
contribué à l’essor des recherches
sur les prions dans notre pays. Sa brutale disparition,
à l’automne 2003, a laissé un énorme
vide dans la communauté scientifique réunie
aujourd’hui. Je voudrais donc associer sa mémoire
aux magnifiques réalisations que nous célébrons
ensemble.
En effet, quel chemin parcouru depuis
1996 ! J’ai le souvenir très précis
de ce premier séisme, lorsque les premiers cas
humains de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
ont été identifiés au Royaume-Uni.
Nous avions rapidement fait le bilan des forces scientifiques
françaises qui pourraient être mobilisées
pour aborder ce thème, encore très énigmatique,
des Encéphalopathies spongiformes subaiguës
transmissibles.
Et il faut bien reconnaître que
le Service de Neurovirologie du CEA, alors récemment
créé et installé dans des locaux
rénové, incluant notamment un laboratoire
P3, faisait à cette époque très
bonne figure dans un paysage scientifique relativement
dépeuplé. C’est donc naturellement
le Professeur Dormont et le CEA qui ont été
sollicités pour l’animation scientifique
et la gestion du programme interministériel sur
les ESST, lancé dès 1996.
Ce programme, fonctionnant sur un mode incitatif, a
permis en quelques années de mobiliser en France
une plus large communauté scientifique autour
de la problématique des prions. Pendant ces mêmes
années, la maladie de la vache folle entraînait
au Royaume-Uni une véritable catastrophe économique,
pour la filière bovine, alors que la menace en
termes de santé publique devenait de plus en
plus flagrante.
Lorsque le premier cas humain de nouvelle
variante de la maladie de Creutzfelt-Jacob est détecté
en France, à la fin 2000, ce que nous appelons
la « deuxième crise de la vache folle »
survient alors sur un terrain scientifique mieux préparé
qu’en 1996. De nombreuses équipes de recherche,
au CEA, mais aussi au CNRS, à l’INRA, à
l’INSERM et dans les universités, sont
progressivement venues renforcer les rangs pour conduire
des travaux sur les différentes questions soulevées
par les prions. Mécanismes moléculaires
fondamentaux, physiopathologie des infections, outils
de dépistages et de diagnostic, approches thérapeutiques…
Tous ces volets ont été progressivement
couverts par des équipes françaises, qui
travaillent souvent dans le cadre de collaborations
nationales ou internationales.
Cette mobilisation exceptionnelle,
à laquelle le CEA a largement participé,
lui a permis à nouveau d’être au
rendez-vous en 2001, pour aborder le problème
très concret du dépistage de l’encéphalopathie
spongiforme bovine chez les animaux introduits dans
la chaîne alimentaire. Le test de dépistage,
commercialisé par Bio-Rad, et qui représente
aujourd’hui près de 70 % du marché
mondial, a en effet été développé
avant la « deuxième crise de la vache folle
», par l’équipe du Docteur Jean-Philippe
Deslys, au sein du Service de Neurovirologie, et l’équipe
du Docteur Jacques Grassi, au sein du Service de Pharmacologie
et d’Immunologie, sur le site de Saclay.
Ce test de dépistage, qui rapporte
chaque année de l’ordre de 15 millions
d’euros au CEA, est l’une des véritables
« success stories » de la recherche française
dans le domaine des sciences du vivant. Qui aurait imaginé
début 1996 que les recherches fondamentales,
certes de grande qualité mais perçues
par certains comme quelque peu ésotériques,
justifiées principalement par la curiosité
scientifique, qui aurait imaginé que les recherches
conduites dans le service du Professeur Dormont auraient,
à peine cinq ans plus tard, un impact majeur
sur le plan économique ?
Cet impact va bien au-delà des
« royalties » substantielles revenant au
CEA et qui lui permettent de financer de nouvelles actions,
comme la réalisation du bâtiment inauguré
aujourd’hui. C’est en effet la sécurité
de toute une filière agroalimentaire, dont le
poids financier se compte en milliards d’euros,
qui se trouve confortée par l’utilisation
du test développé par le CEA.
Ce rôle essentiel joué
par la recherche scientifique, qui permet d’apporter
des solutions technologiques pour améliorer la
sécurité de nos concitoyens, mérite
d’être souligné. Je vois en effet
trop souvent mettre en avant les risques liés
à de nouvelles découvertes des chercheurs.
Comme beaucoup d’activités humaines, la
recherche comporte sa part potentielle de bienfaits
ou de méfaits. Ce qui est sûr, dans notre
monde de plus en plus ouvert à la compétition
internationale, c’est que la recherche est probablement
l’atout maître pour préserver notre
avenir économique, social et culturel !
Pour revenir au test de dépistage
de l’ESB, je crois que c’est un exemple
parfait pour illustrer la capacité du CEA d’aborder
avec succès des domaines de recherche technologique
qui vont au-delà des applications de l’énergie
nucléaire. Configuré dès l’origine
pour être pleinement efficace dans le développement
de ces applications, cette capacité du CEA est
bien sûr liée à son modèle
d’organisation, à une culture de projet
bien ancrée et à la qualité des
personnels recrutés.
Mais cette capacité de transfert
efficace, depuis des connaissances scientifiques vers
une réponse concrète à un besoin
émergent de notre société, est
aussi le résultat de la symbiose, au sein du
même établissement, d’une recherche
fondamentale de haut niveau, orientée par la
curiosité, et d’une recherche technologique
visant à répondre à un objectif
pratique bien défini.
Je suis profondément convaincu
que pour tirer le meilleur profit des connaissances
d’amont existantes à un moment donné,
pour être à même de les traduire
rapidement, surtout face à une question inattendue,
en termes d’applications technologiques, il faut
travailler en étroite interaction avec les meilleurs
chercheurs du domaine.
Il ne suffit pas de s’abonner aux meilleures revues
scientifiques pour entrer de plein pied dans les résultats
les plus récents de la recherche fondamentale.
La compréhension complète de ces résultats
exige un haut niveau d’expertise que seule la
pratique de la recherche peut conférer. Je pense
donc qu’un organisme à vocation technologique
comme le CEA se doit de garder en son sein des scientifiques
qui se consacrent essentiellement à la recherche
d’amont et qui sont les garants d’une veille
attentive et productive vis-à-vis des connaissances
produites par eux ou par leurs pairs, ailleurs dans
le monde.
Cette mixité du CEA, cette double
culture d’ingénieurs et de chercheurs,
est un ingrédient clef de son efficacité
dans le transfert technologique. A ce titre, je suis
donc particulièrement attaché à
ce que le CEA garde un lien organique fort avec mon
ministère, notamment dans le cadre de la déclinaison
des programmes de la loi organique relative aux lois
de finance.
La plate-forme de recherche inaugurée
aujourd’hui est le résultat logique du
positionnement d’excellence du CEA dans la recherche
sur les prions. En 2001, avec la mise en place du Groupement
d’intérêt scientifique « Infections
à prions » en réponse à la
« seconde crise de la vache folle », le
CEA a naturellement été retenu pour accueillir
deux infrastructures partiellement financées
par le ministère chargé de la recherche
: le laboratoire L3 du Service de Jacques Grassi, à
Saclay, et la plate-forme de recherche dédiée
aux maladies à prions, ici, à Fontenay-aux-Roses.
Avec
la contribution du CEA bien sûr, mais aussi avec
l’aide du Conseil général des Hauts-de-Seine
et du Conseil régional d’Île-de-France,
que je tiens à remercier tout particulièrement
pour les promesses passés mais aussi à
venir. Ce serait formidable que la Conseil régional
d’Ile-de-France consacre 5% de son budget à
la Recherche. Le projet d’infrastructure porté
par Jean-Philippe Deslys a pris une dimension qui dépasse
le cadre national. L’objectif affirmé par
le CEA pour cette plate-forme est de devenir un pôle
européen pour les recherches sur les maladies
à prions. Le centre CEA de Fontenay-aux-Roses,
dans nos mémoires si fortement lié aux
origines de la filière nucléaire en France,
affirme ainsi sa nouvelle ambition de devenir un site
d’excellence, de dimension européenne,
centré sur les technologies biomédicales.
D’autres projets remarquables,
tel ImaGene, portés par la Direction des sciences
du vivant, sont en cours de réalisation et conforteront
ce nouveau positionnement. Je tiens ici à rendre
hommage au Directeur des sciences du vivant, le Professeur
André Syrota, et au Directeur du Centre de Fontenay,
le Docteur Thierry Damerval, pour leur clairvoyance
dans les choix stratégiques qui ont été
faits.
Je suis particulièrement heureux
que l’inauguration de ce magnifique bâtiment
ait pu coïncider avec le lancement du réseau
d’excellence européen NeuroPrion. Je pense
que le Commissaire Philippe Busquin, qui nous a fait
l’honneur et le plaisir d’être avec
nous aujourd’hui, reviendra plus en détail
sur cet événement scientifique majeur
pour la recherche sur les maladies à prions.
Je tiens simplement à souligner
que l’ampleur de ce réseau, tant par le
nombre de laboratoires participants que par le financement
accordé, illustre une nouvelle fois la dynamique
européenne du centre de Fontenay-aux-Roses et,
au-delà, du CEA. Les premiers appels à
propositions du 6ème PCRD ont été
remarquablement fructueux pour la Direction des sciences
du vivant qui, à côté de NeuroPrion,
se trouve impliquée dans trois autres projets
intégrés ou réseaux d’excellence
de coordination CEA. EMIL, sur l’imagerie moléculaire
; Nano2Life, sur les nanobiotechnologies ; Risc Rad,
sur les lésions et réparation de l’ADN
; les priorités majeures du CEA en sciences du
vivant sont ici toutes reconnues au plus haut niveau.
Cette participation active du CEA à
la construction de l’Europe de la recherche, qui
se traduit encore par la coordination de cinq autres
projets du 6ème PCRD, est un gage du dynamisme
de cet établissement, auquel je tiens à
adresser collectivement toutes mes félicitations.
Mais ces félicitations, elles
vont bien sûr tout particulièrement à
celles et à ceux qui ont permis que nous fêtions
aujourd’hui ces deux belles réalisations
de la science française dans une perspective
européenne. Bravo à vous tous et tous
mes vœux pour que votre travail fructifie encore
et permette à la France d’affirmer son
rayonnement dans une Europe de la recherche !
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