Estimer précisément une durée ou effectuer un geste au bon moment sont des aspects essentiels de la vie. Comment les durées brèves, de l'ordre d'une fraction de seconde à quelques minutes, sont-elles codées et mémorisées par le système nerveux central ? En utilisant l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), des chercheurs[1] du Laboratoire de neurobiologie cognitive (CNRS et Université de Provence Aix-Marseille 1) ont identifié les régions cérébrales impliquées dans ces processus d'estimation temporelle. Leurs travaux, publiés dans Science le 5 mars, complètent les données pharmacologiques et neuropsychologiques actuelles, telle l'analyse des déficits temporels liés à la maladie de Parkinson.
L'attention module notre perception du temps : le temps passe vite lorsqu'on est très occupé. En psychologie expérimentale, le protocole de « double tâche » permet de valider cette impression courante. Il montre par exemple que la durée d'un signal visuel est jugée plus courte si l'on doit en même temps évaluer son intensité et non sa durée uniquement. Nous sommes même capables de modifier, d'un moment à l'autre, le degré d'attention accordée à cette durée particulière. Ces variations d'attention correspondent-elles à l'activation plus ou moins intense de certaines structures cérébrales ?
Dans cette étude, douze sujets devaient porter leur attention simultanément sur la durée et la couleur de deux stimuli visuels brefs, présentés successivement sur un écran d'ordinateur. Ils devaient ensuite juger soit la durée, soit la couleur du second stimulus comparé au premier, en choisissant entre trois réponses correspondant à trois boutons différents sur un clavier (« plus court », « égal », « plus long » ; ou « plus rouge », « égal », « plus bleu »). Avant chaque essai, un code visuel particulier leur indiquait l'attention qu'ils devaient accorder à la durée et à la couleur. Ces consignes étaient définies en cinq conditions (100 % durée et 0 % couleur, 75-25, ou 50-50, etc.[2]). La couleur du stimulus variait continuellement autour d'une teinte fondamentale (violette) et le jugement portait sur la moyenne de ces variations, ce qui obligeait le sujet à y faire attention du début à la fin du stimulus, comme pour le jugement de durée.
L'augmentation du niveau d'attention accordée soit à la durée, soit à la couleur, a entraîné l'amélioration du niveau de performance correspondant et l'activation accrue de certaines structures cérébrales. Des structures différentes interviennent si l'attention porte sur la couleur du stimulus plutôt que sur sa durée. Ainsi, pour le jugement de couleur, l'activation concerne le cortex visuel ; pour la durée, elle implique un réseau cérébral comprenant la partie antérieure de l'aire motrice supplémentaire (« pré-AMS »), d'autres régions corticales et une partie du striatum au niveau sous-cortical. Ces résultats permettent d'identifier les bases neurales des mécanismes temporels.
Jusqu'ici, les chercheurs ont surtout insisté sur le rôle de l'AMS dans la programmation des mouvements. Cette nouvelle étude montre que le traitement de l'information temporelle, indépendamment du contrôle moteur, fait aussi partie de ses fonctions, dans le cadre de ses relations avec le striatum[3].
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[1] Jennifer Coull, Françoise Macar et Franck Vidal, équipe « Architecture cérébrale et traitement du temps » (ACT) du Laboratoire de neurobiologie de la cognition (LNC) à Marseille et Bruno Nazarian du Centre d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) de Marseille. J. Coull bénéficie d'une bourse européenne Marie Curie.
[2] Les cinq types de consignes :
- se concentrer entièrement sur le temps et ignorer la couleur, 100 % temps ;
- se concentrer plus sur le temps que sur la couleur, 75 % temps et 25 % couleur ;
- se concentrer de façon égale sur le temps et la couleur, 50 % temps et 50 % couleur ;
- se concentrer plus sur la couleur que sur le temps, 25 % temps et 75 % couleur ;
- se concentrer entièrement sur la couleur et ignorer le temps, 100 % couleur.
[3] Le striatum (noyau caudé et putamen) fait partie des Noyaux gris centraux (ou Ganglions de la base), structures sous-corticales comprenant aussi le pallidum et, selon certains auteurs, le noyau sub-thalamique et la substance noire.
Références :
Coull, J.T., Vidal, F., Nazarian, B., Macar, F. "Functional anatomy of the attentional modulation of time estimation", Science, 5 mars 2004.
Contacts :
Chercheurs :
Jennifer Coull
Laboratoire de neurobiologie de la cognition
Mél : jcoull@lnf.cnrs-mrs.fr
Françoise Macar
Laboratoire de neurobiologie de la cognition
Mél : macar@lnf.cnrs-mrs.fr
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