Paris, le 30 avril 2004
En juillet 2003, une découverte
importante des archéologues de l'IRD en Équateur révèle
la présence, il y a plus de 4000 ans, d'une des premières
grandes cultures andines dans le haut bassin amazonien, où leur
existence était jusqu'à présent inconnue. Depuis,
la fouille systématique de plusieurs aires du site de Santa Ana-
La Florida ( sud de l'Équateur) a permis de découvrir des
ensembles architecturaux complexes dont une tombe, ainsi que de nombreux
vestiges de natures diverses : bouteilles en céramique, bols en
pierre décorés et non décorés, médaillons
et pièces de colliers en turquoise, malachite et autres pierres
vertes. Ces objets traduisent le raffinement de l'art lapidaire de cette
nouvelle culture précolombienne et apportent la preuve que ce site
était utilisé dans des buts rituels et funéraires.
Ces découvertes, qui confirment les hypothèses émises
lors des premières fouilles, permettent de démontrer l'importance
du site et du peuple qui l'occupait. Elles remettent en cause les modalités
d'émergence des premières grandes civilisations andines
ainsi que les relations entre les différentes populations de ces
régions.
Les fouilles réalisées fin
2003 ont concerné le secteur oriental du site qui correspond à
une terrasse surplombant le lit de la rivière Valladolid ; cette
zone était prioritaire car menacée d'excavations clandestines.
Plusieurs ensembles architecturaux y ont été découverts
sur trois niveaux, correspondant à des époques d'occupation
successives. En surface (jusqu'à 35 cm de profondeur), des restes
de murs d'une structure rectangulaire d'une vingtaine de mètres
de long ainsi que des accumulations de galets ont été découverts
sur l'ensemble de la terrasse ; il pourrait s'agir des fondations de structures
d'habitat en torchis des populations de l'horizon Corrugado (du VIIIème
au XVème siècle de notre ère).
Ensuite, l'exploration du sous-sol (jusqu'à 190 cm) a mis à
jour l'élément architectural le plus remarquable : un ensemble
de murs concentriques de grande extension qui semble délimiter
le centre du site et se termine en spirale. Le cur est occupé
par une cuvette en pierres servant de base à un foyer (terre rubéfiée)
d'environ 80 cm de diamètre. De riches offrandes y ont été
découvertes : un masque en pierre verte recouvert d'un bol en pierre
polie, un médaillon anthropomorphe en pierre verte ainsi que de
nombreux éléments de colliers en turquoises décorées
de motifs animaliers (oiseaux et serpents).
L'exploration de ce secteur (jusqu'à 230 cm) a mis à jour
une deuxième structure située à près d'un
mètre du foyer : une fosse conique aux parois recouvertes de pierres.
À l'intérieur, la richesse des offrandes découvertes
(bouteilles en céramique à anse étrier, éléments
de parure en malachite, des turquoises décorées de motifs
animaliers (oiseaux et serpents), des bols en pierre décorés
de figures anthropomorphes et zoomorphes) et la présence, dans
les trois cavités fouillées, de fragments osseux humains
et textiles très mal conservés (acidité des sédiments
) attestent qu'il s'agit d'une tombe comportant trois dépôts
funéraires successifs datant d'étapes d'occupations postérieures
(200 ans plus tard environ). La présence dans les trois cavités
fouillées de turquoises en très grandes quantités
et de fragments d'un coquillage marin prouve que cette population entretenait
des relations d'échange avec des populations vivant plus à
l'ouest.
Des charbons de bois recueillis en différentes parties du site
ont permis des datations au 14C. Une fois calibrées et corrigées,
les dates attestent l'ancienneté de l'occupation initiale du lieu,
entre 4800 BP et 2150 BP, ainsi que d'autres moments d'occupation, séparés
par des milliers d'années. Ces datations sont les plus anciennes
connues dans le haut bassin amazonien, pour des populations agricoles
possédant la céramique.
Ces nouvelles découvertes confirment
qu'il s'agit d'un site à caractère funéraire où
ont été inhumés des personnages importants (richesses
des offrandes enterrées et sophistication des structures). Il s'agissait
sans doute d'un lieu où se tenaient de grands rassemblements, des
cérémonies importantes, et qui avait une forte capacité
d'attraction des villages avoisinants. La complexité de l'architecture
et la présence de murs en spirale, montrent l'importance que ces
éléments symboliques revêtaient pour cette société.
La diversité et le raffinement remarquable des objets en pierre
gravée est particulier à cette vallée, de même
que le style de bouteilles en céramique inconnu jusqu'alors dans
cette région, confirment le caractère novateur de cette
découverte. La complexité de l'iconographie associée
à cette tradition culturelle, implique la présence de systèmes
idéologiques et religieux développés sur le versant
oriental de la cordillère andine dès le milieu du 3ème
millénaire avant notre ère. L'idée selon laquelle
cette région formait une frontière naturelle, inhospitalière
et inapte au développement de sociétés agricoles
complexes est remise en cause. De même, la présence de pièces
en turquoises, en très grande quantité, ainsi que la découverte,
dans les dépôts funéraires, de fragments de coquillages
marins indiquent clairement que cette société entretenait
des relations avec des populations plus ou moins éloignés.
La poursuite des travaux sur ce site permettra
la fouille de l'intégralité de la zone bâtie artificiellement
dans le but de découvrir des contextes culturels différents
ainsi que d'autres tombes. Le puits circulaire n'était, sans doute,
qu'un échantillon d'un ensemble de plusieurs fosses qui sont probablement
encore enfouies à divers endroits du site. Des travaux dans d'autres
parties du gisement viseront aussi à localiser les structures d'habitat
des populations qui se rassemblaient à cet endroit à l'occasion
de cérémonies funéraires. Enfin, les analyses de
provenance des matériaux utilisés (réalisées
par le Laboratoire Ernest Babelon du CNRS à Orléans) et
les comparaisons stylistiques des objets découverts avec des pièces
découvertes au Sud de l 'Équateur et au nord du Pérou,
devraient permettre de reconsidérer la nature et l'ancienneté
des relations existant entre les Andes septentrionales et centrales, ainsi
que les modalités d'émergence des premières grandes
civilisations andines.
En Equateur, ces recherches font l'objet
de deux accords de coopération, signés en 2001 et 2002,
avec l'Institut National du Patrimoine Culturel (INPC) et le département
culturel de la Banque Centrale de l'Equateur (BCE). Les travaux de terrain
concernent deux aires singulières, situées aux extrémités
du pays (provinces d'Esmeraldas et de Zamora-Chinchipe).
IRD Paris - Contact presse :
Bénédicte Robert, 01 48 03 75 19, presse@paris.ird.fr
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