Les maladies guérissables - de l'angine ou de l'otite à la
tuberculose ou au paludisme risquent de devenir incurables
L'accroissement de la pharmacorésistance, selon un nouveau
rapport, pourrait priver le monde des moyens de guérir les maladies et d'arrêter
les épidémies
Il faut utiliser mieux et plus largement les outils dont nous disposons
contre les maladies infectieuses
Selon un rapport rendu public aujourd'hui par l'Organisation
mondiale de la Santé (OMS), le phénomène croissant de la pharmacorésistance risque
d'entraîner une érosion des progrès accomplis par la médecine au cours des
dernières décennies.
Comme le fait observer le Dr Gro Harlem Brundtland, Directeur général
de l'OMS, « Nous disposons aujourd'hui de médicaments efficaces
permettant de guérir la quasi-totalité des grandes maladies infectieuses. Pourtant, nous
risquons de perdre ces précieux outils et le pouvoir de maîtriser de nombreuses
maladies infectieuses en raison de l'accroissement de la résistance aux
antimicrobiens. »
La mise en garde de l'OMS figure dans son rapport annuel sur les
maladies infectieuses qui envisage les moyens de surmonter la résistance aux
antimicrobiens. Il s'agit du premier rapport de ce type qui brosse un tableau complet
de la situation alarmante à laquelle le monde est confronté à mesure que de précieux
médicaments perdent progressivement leur efficacité.
Le rapport décrit comment les germes de la quasi-totalité des grandes
maladies infectieuses commencent lentement mais sûrement à résister aux médicaments
disponibles. En Estonie, en Lettonie et dans certains parties de la Fédération de Russie
et de la Chine par exemple, plus de 10 % des malades de la tuberculose présentent
des souches qui résistent aux deux antituberculeux les plus puissants. La résistance a
complètement privé la Thaïlande de trois des antipaludéens les plus courants. Chez
30 % environ des malades prenant de la lamivudine un médicament récemment
mis au point contre l'hépatite B on observe une résistance après un an
de traitement. En Inde, 60 % des cas de leishomaniose viscérale ne réagissent plus
aux médicaments de première intention. Dans les cas d'infection à VIH, on observe
déjà une résistance primaire à l'AZT et à d'autres nouvelles thérapies
chez un nombre réduit, mais croissant, de malades.
Bien souvent, c'est l'utilisation mal planifiée ou non
systématique des médicaments qui nous a fait perdre ces outils aussi rapidement que les
scientifiques les ont mis au point.
« Il a fallu 20 ans pour mettre au point la pénicilline et
permettre son utilisation ; puis, en 20 ans, ce médicament est devenu pratiquement
inopérant dans le traitement des gonococcies dans la plus grande partie du monde »,
souligne le Dr David Heymann, Directeur exécutif chargé des maladies transmissibles à
l'OMS. Dans une grande partie de l'Asie du Sud-Est, 98 % des souches
résistent à la pénicilline.
Il y a dix ans, à New Delhi, trois médicaments peu coûteux
permettaient de guérir la fièvre typhoïde. Aujourd'hui, ces médicaments ont en
grande partie perdu leur efficacité contre cette maladie potentiellement mortelle. De
même, il y a dix ans, on pouvait facilement combattre une épidémie de dysenterie à
shigella par le cotrimoxazole, un médicament bon marché disponible sous forme
générique. Aujourd'hui ce produit reste sans effet dans la quasi-totalité des cas
de shigellose.
Les malades hospitalisés sont particulièrement vulnérables. Aux
Etats-Unis d'Amérique, quelque 14 000 d'entre eux sont infectés et
meurent chaque année à cause de germes pharmacorésistants d'origine nosocomiale.
Dans le monde, jusqu'à 60 % des infections nosocomiales sont provoquées par
des bactéries chimiorésistantes.
La résistance aux antimicrobiens est un phénomène biologique naturel
qui est amplifié de nombreuses fois parce que l'homme utilise mal et néglige les
antimicrobiens dont il dispose. La résistance réduit à néant l'effet de
médicaments jadis capables de sauver des vies.
L'aggravation de la résistance aux antimicrobiens est due à des
causes sociales qui paradoxalement ne sont pas les mêmes selon les pays. Dans certains
cas surtout dans les pays pauvres c'est la sous-utilisation des
médicaments qui encourage l'apparition d'une résistance. Ainsi, lorsque les
malades n'ont pas les moyens d'acheter une quantité suffisante de médicaments
pour un traitement complet ou se rabattent sur des médicaments contrefaits obtenus au
marché noir, les germes les plus faibles sont tués mais les plus résistants parviennent
à survivre et à se reproduire.
Dans les pays riches, la résistance s'installe pour la raison
opposée, c'est-à-dire à cause d'une utilisation abusive des médicaments. Les
malades demandent parfois des médicaments dont ils n'ont pas besoin et les services
de santé qui ont tendance à surprescrire les leur fournissent volontiers. L'abus
des antimicrobiens dans la production alimentaire des pays riches contribue également au
phénomène de la résistance. Actuellement, 50 % de la production
d'antibiotiques sert à traiter les animaux malades, à promouvoir la croissance du
bétail et de la volaille ou à débarrasser les cultures d'organismes nuisibles.
Quelle que soit l'origine du phénomène, la mondialisation ainsi
que l'intensification des déplacements et des échanges commerciaux favorisent un
déplacement rapide des souches résistantes. Les empreintes ADN ont permis aux chercheurs
d'identifier des souches de bacille tuberculeux pharmacorésistant en Europe
orientale, en Asie et en Afrique, et de suivre leurs traces à mesure qu'elles
réapparaissent de plus en plus chez des malades d'Europe occidentale et
d'Amérique du Nord.
Comme le souligne le Dr Heymann, « Nous n'avons peut-être
qu'une dizaine ou une vingtaine d'années pour utiliser de manière optimale une
grande partie des anti-infectieux actuellement disponibles. Nous nous trouvons
littéralement dans une course contre la montre puisqu'il s'agit de réduire le
niveau mondial des maladies infectieuses avant que les maladies ne réduisent
l'utilité des médicaments. »
Les conséquences économiques de la résistance aux antimicrobiens
sont énormes. Le coût du traitement d'un cas de tuberculose polychimiorésistante
est cent fois plus élevé que le coût du traitement d'un cas non résistant. La
ville de New York a dû consacrer près d'un milliard de dollars à la lutte contre
une poussée de tuberculose polychimiorésistante au début des années 90, une facture
qui dépasse les moyens de la plupart des villes du monde. Selon le Dr Rosamund Willliams
qui dirige l'équipe de l'OMS chargée de la pharmacorésistance, « Si
nous n'utilisons pas pleinement et à bon escient les médicaments découverts de
notre vivant, une grande partie d'entre eux nous échapperont. Bientôt nous
n'aurons plus la possibilité de maîtriser les maladies infectieuses les plus
dangereuses et si nous ne faisons pas des progrès rapides pendant cette décennie, il
sera peut-être très coûteux et très difficile, voire impossible, de le faire plus
tard ».
On croit souvent, et à tort, que l'industrie pharmaceutique fait
constamment de nouvelles découvertes qui permettent de remplacer les produits devenus
inefficaces contre les principales maladies infectieuses. En réalité, si l'on
continue effectivement d'obtenir de nouvelles versions de médicaments qui existent
déjà, rares sont les nouvelles classes d'antibactériens. En moyenne, il faut
compter 15 à 20 ans pour la recherche et développement d'un médicament
anti-infectieux et l'effort financier peut dépasser les 500 millions de dollars
selon les sociétés pharmaceutiques.
Actuellement, poursuit le Dr Heymann, « Il n'y a pas de
nouveaux médicaments ou vaccins sur le point d'apparaître. Nous faisons un pari à
haut risque dont la santé publique est l'enjeu si nous croyons à la découverte de
nouveaux médicaments et vaccins et négligeons la possibilité d'utiliser mieux et
plus largement les médicaments efficaces dont nous disposons aujourd'hui. »
Selon le rapport, la stratégie la plus efficace contre la résistance
aux antimicrobiens consiste à toucher la cible du premier coup, c'est-à-dire à
détruire le germe et à vaincre ainsi la résistance avant son apparition. Il s'agit
donc de fournir le traitement adéquat au malade chaque fois qu'il en a besoin.
Comme le dit le Dr Brundtland, « Utilisés largement et à bon
escient, les médicaments dont nous disposons aujourd'hui peuvent éviter les
infections auxquelles nous devons faire face aujourd'hui et les catastrophes de
demain dues à la résistance. Mais si un effort plus sérieux n'est pas consenti
contre les maladies infectieuses, la résistance aux antimicrobiens menacera de plus en
plus de nous renvoyer à l'ère pré-antibiotique. Nos grands-parents ont déjà
connu une époque sans antibiotiques efficaces. Nous ne voulons pas qu'il soit de
même pour nos petits-enfants. »
Pour plus de renseignements
s'adresser à Gregory Hartl, Porte-Parole de l'OMS, OMS, Genève,
téléphone : (+ 41 22) 791 4458, portable +41 79 203 6715, fax : (+41 22) 791
4858. E-mail : hartlg@who.int
ou Andy Seale, Attaché de presse pour les maladies transmissibles (+41 22)
791 3670. Aux Etats-Unis, s'adresser à Jim Palmer +1 202 262-9823, et au
Royaume-Uni, à Janice Muir ou à Amanda Barnes au numéro
+44 207 407 3313.
Il y aura une séquence UEB lundi comprenant des clips d'une
interview avec David Heymann. Des interviews radio prêtes à la diffusion seront
accessibles à partir du centre des médias sur http://www.who.int/multimedia.
Pour toute demande d'information concernant la séquence UER ou les moyens de
diffusion, s'adresser à Chris Powell (+41 22) 791 2888.
Tous les communiqués de presse, aide-mémoire et articles de fond de l'OMS, ainsi
que d'autres informations sur ce sujet peuvent être obtenus sur Internet à la page
d'accueil de l'OMS http://www.who.int/