La
libéralisation du commerce peut beaucoup contribuer à créer des
ressources pour le financement du développement, a dit aujourd'hui
(21 mars) M. Mike Moore, Directeur général de l'Organisation
mondiale du commerce, à la Conférence internationale de l'ONU sur le
financement du développement qui se tient à Monterrey (Mexique). Mais M.
Moore, tout en insistant sur la nécessité d'un accroissement du
renforcement des capacités pour aider les pays en développement à
participer plus pleinement à l'économie mondiale, a aussi fait observer
que ces pays auraient à faire davantage d'efforts pour réduire les
restrictions coûteuses imposées à leurs échanges mutuels.
"Ce
que j'ai à vous dire est simple et clair: la pauvreté sous toutes
ses formes constitue la plus grave menace pour la paix, la démocratie,
les droits de l'homme et l'environnement. C'est une bombe à
retardement contre l'essence même de la liberté; mais elle peut
être vaincue et nous avons entre les mains les outils nécessaires
pour le faire; il nous faut seulement avoir le courage de les utiliser
correctement et de façon bien ciblée” a dit M. Moore à la
plus grande conférence annuelle sur le développement, à laquelle
ont participé plus de 50 Chefs d'État ainsi que des Ministres,
des Chefs de Secrétariat d'organismes internationaux et des experts
des finances et du commerce.
M.
Moore a dit aux représentants qu'une libéralisation plus poussée du
commerce rapporterait aux pays en développement plus de 15 fois
les 10 milliards de dollars EU qui, selon des estimations,
seraient nécessaires pour atteindre le principal Objectif de
développement pour le millénaire, c'est-à-dire l'éducation
primaire pour tous. L'abolition de tous les obstacles au commerce
pourrait faire progresser le revenu mondial de 2,8 billions de
dollars EU et tirer de la pauvreté 320 millions de personnes
d'ici à 2015, a-t-il déclaré, citant des estimations de la Banque
mondiale.
“Les
pays pauvres doivent sortir de la pauvreté par la croissance et le
commerce peut être un moteur essentiel de cette croissance”, a-t-il
déclaré.
Mais,
a-t-il ajouté, il n'est pas nécessaire que les pays en
développement attendent la fin du Cycle du développement de Doha. Le
commerce Sud/Sud a progressé davantage que le commerce mondial
pendant les années 90 et représente maintenant plus du tiers
des exportations des pays en développement, soit 650 milliards
de dollars environ. La Banque mondiale indique que 70 pour cent
des problèmes auxquels se heurtent les exportations de produits
manufacturés des pays en développement proviennent d'obstacles au
commerce imposés par d'autres pays en développement. “Plus vite
ces barrières tomberont, plus vite les pays en développement
obtiendront les gains qui en résulteront”, a-t-il dit.
En
ce qui concerne les pays développés, M. Moore a appelé l'attention
sur les restrictions à l'accès aux marchés existant dans quatre
domaines principaux:
- L'agriculture,
qu'il a décrite comme étant le pilier de la quasi-totalité des
économies en développement. Les versements au titre du soutien
à l'agriculture représentent maintenant 1 milliard de
dollars par jour et le taux de droit moyen consolidé dans les
pays de l'OCDE pour les produits agricoles est quatre fois plus
élevé que pour les produits industriels. Les gains des pays en
développement dans ce domaine seul seraient égaux à huit fois
le montant total de l'allègement de la dette qui leur a été
accordé jusqu'ici, a-t-il ajouté. Une libéralisation complète
dans tous les secteurs, agriculture, produits manufacturés et
services, correspondrait à huit fois environ le montant total de
l'APD.
- Les
textiles et les vêtements, qu'il a qualifiés de plus grande
source de recettes d'exportation pour beaucoup de pays en
développement. M. Moore a dit que nous devions veiller à ce que
ce secteur soit pleinement intégré comme prévu d'ici au
1er janvier 2005.
- Au
sujet des droits de douane, M. Moore a indiqué qu'un problème
encore plus insidieux que celui des crêtes tarifaires — qui
restaient élevées à la fois dans les pays développés et les
pays en développement - était celui de la progressivité des
droits, qui décourageait le développement d'une industrie de
transformation autochtone. Pour que les pays en développement
puissent un jour diversifier leur économie et ne plus rester
tributaires de quelques produits primaires, cette progressivité
doit être éliminée, a-t-il déclaré.
Relevant
que les restrictions étaient coûteuses pour les pays qui les
maintenaient, M. Moore a dit à la Conférence que la protection
coûtait à l'Union européenne, aux États-Unis et au Japon une somme
comprise pour chacun d'eux entre 70 et 110 milliards de dollars
EU chaque année. “Les pertes nettes subies par les États-Unis du
fait de leurs seules restrictions à l'importation de textiles et de
vêtements s'élèvent à plus de 10 milliards de dollars chaque
année”, a-t-il déclaré.
“Cette
conférence porte sur le financement du développement à une époque
où l'investissement étranger direct privé est quatre fois
supérieur à l'APD et égal à dix fois les prêts accordés par la
Banque mondiale pour le développement. C'est pourquoi beaucoup
souhaitent qu'un accord sur l'investissement soit conclu pendant le
Cycle du développement de Doha”.
M.
Moore a aussi insisté sur l'importance d'autres questions liées au
développement et à la bonne gouvernance, comme la transparence des
marchés publics, la politique de la concurrence et la facilitation
des échanges. “La facilitation des échanges entraînera des gains
énormes”, a-t-il dit, citant une étude de la Banque
interaméricaine de développement portant sur deux pays d'Amérique
du Sud, qui montrait qu'un camion qui devait franchir deux frontières
pour livrer des produits mettait 200 heures, dont 100 étaient
attribuables aux formalités administratives à la frontière.
“Ces
lourdeurs administratives et cette mauvaise gouvernance au niveau
national sont coûteuses et nuisibles”, a dit M. Moore, qui a aussi
fait observer qu'il faudrait légitimer les avoirs des pauvres. Il a
relevé qu'en Amérique latine, 80 pour cent des biens
immobiliers n'étaient pas détenus légalement.
“Les
secteurs non régis par le droit dans les pays en développement
représentent entre 50 et 70 pour cent de l'ensemble de la main-d'œuvre.
Dans le pays le plus pauvre d'Amérique latine, les avoirs des pauvres
sont plus de 150 fois plus élevés que la totalité de
l'investissement étranger réalisé dans ce pays depuis son accession
à l'indépendance en 1804. Dans un pays d'Afrique, il faut accomplir
77 démarches administratives dans 31 organismes publics et
privés pour acheter légalement une terre. Il a ajouté que si les
États-Unis accroissaient leur APD de façon à ce qu'elle atteigne
l'objectif de 0,7 pour cent fixé par l'ONU, il faudrait au pays
le plus riche de la planète 150 ans pour transférer aux pauvres
du monde entier des ressources égales à celles qu'ils possèdent
déjà”.
Citant
les engagements pris récemment à l'OMC en matière d'accroissement
du renforcement des capacités, M. Moore a conclu: “Nous devrions
fournir une assistance technique pour former des négociateurs, mettre
en place des régimes douaniers efficaces et améliorer les systèmes
fiscaux “poreux”. Nous devons nous attacher autant à édifier les
infrastructures intellectuelles que constituent des fonctionnaires
compétents qu'à boucher les nids de poule et à construire des
routes et des barrages. Le Cycle du développement de Doha peut être
mené à bien et mis en œuvre à temps. La condition du succès sera
une amélioration de la capacité d'assurer une bonne gouvernance afin
de permettre aux pays en développement de participer, de négocier et
d'arrêter et mettre en œuvre notre programme de travail. C'est
actuellement en cours. Nous pouvons et nous devons réussir”.
> Le
texte complet du discours: Conférence
de l'ONU sur le financement du développement, séance d'ouverture de
la réunion au sommet