Mesdames, Messieurs,
C’est avec grand plaisir que je suis venue devant vous, ce soir, à l’invitation du Président Guellec, pour conclure ces quatrièmes assises de la gestion locale de l’eau. Ainsi, que j’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de le préciser, notamment devant le Comité National de l’Eau, j’attache une grande importance à une gestion participative de l’eau, ce bien commun essentiel, que ce soit à travers les différentes instances de bassin ou, plus localement au plus près de l’usager, au sein des commissions consultatives des services publics locaux. Les occasions de débattre de notre politique sont toujours enrichissantes, et je félicite particulièrement le Président du comité de bassin Loire-Bretagne d’organiser cette manifestation régulière, qui a pris une envergure nationale.
En cette année mondiale de l’eau ,et en pleine transposition de la Directive cadre européenne, votre manifestation bénéficie d’un relief particulier. Amon arrivée, j’ai trouvé dans les cartons un projet de loi sur l’eau dont le moins que l’on puisse dire est que, contrairement aux lois qui l’avaient précédé en 1964 puis en 1992, il ne faisait pas consensus. En effet s-il comportait certaines mesures intéressantes, il avait probablement trop focalisé sur quelques points conflictuels de la politique de l’eau sans solution véritablement satisfaisante et de ce fait ne proposait pas de vision stratégique pour la politique de l’eau de notre pays face aux enjeux auxquels elle doit répondre.
C’est pourquoi j’ai souhaité relancer un grand débat national sur la question, large et sans tabous, visant non pas à « faire passer » un projet de loi, mais à définir collectivement une stratégie ambitieuse pour notre politique de l’eau pour les 15 ans à venir, permettant de tenir nos engagements européens et nationaux, et qui me permette de proposer des mesures législatives ou réglementaires, certes, mais aussi des mesures, organisationnelles ou financières… Car le grand défi qui s’impose à nous, c’est bien de mettre en œuvre concrètement la directive cadre sur l’eau, et, lorsque nous évaluerons les résultats en 2015, de pouvoir collectivement prendre la mesure du travail accompli.
Je souhaite insister sur le fait que ces objectifs ne doivent pas être perçus comme des contraintes qui nous seraient imposées de l’extérieur mais comme la concrétisation collective au niveau européen d’une attente des citoyens qu’ils soient usagers des services locaux ou préoccupés par la préservation de ce patrimoine commun multifonctionnel que constituent les masses d’eau, pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Nous voilà donc bien au cœur de vos préoccupations.
Ce plan d’action viendra ainsi compléter les mesures urgentes que j’ai d’ores et déjà engagées, que ce soit celles concernant les risques naturels à travers le projet de loi en cours d’examen actuellement au Parlement, ou le projet de loi concernant la transposition proprement dite de la directive cadre en droit français, qui sera examinée prochainement au Conseil des ministres.
Au cours de ces deux jours, de nombreux sujets ont été abordés, je ne pourrai malheureusement les citer tous, aussi je vous prie par avance de m’excuser de cet exercice difficile qui consiste à isoler quelques thèmes sur deux jours de débat.
Le thème eau et développement durable, tout d’abord, me semble essentiel, alors que nous réfléchissons au sein de notre pays aux voies d’intégration des principes du développement durable dans notre Constitution (la première réunion des assises de la Charte, ouverte par le Président de la République, hier à Nantes, avait pour fil conducteur l’eau), et que le Forum de Kyoto, puis le Sommet du G8 seront l’occasion de défendre ces principes au niveau international. A cet égard, il me semble important d’insister sur :
- l’intérêt de la gestion par bassin versant,
- les principes de gouvernance à travers notamment un code de bonne conduite pour l’accès à l’eau et l’assainissement et du partenariat public / privé,
- la mise en place d’un observatoire à l’échelle internationale de l’avancement des objectifs que nous nous sommes fixés à Johannesburg,
- enfin – surtout devrais-je dire – la mise en place de dispositifs de financements adéquats.
Sur ce dernier point, je sais que certaines collectivités souhaitent se mobiliser dans le cadre d’une coopération décentralisée : ces efforts devront être encouragés.
Vous avez également beaucoup parlé du financement des infrastructures d’alimentation en eau potable de nos concitoyens, et particulièrement des coûts liés à l’entretien et au renouvellement des réseaux. Pour ces sujets, ô combien sensibles car ils influent directement sur le prix de l’eau, il me semble qu’il faut les aborder avec pragmatisme, concrètement, et surtout sans idéologie. Je sais que les débats menés par le passé ont été difficiles sur ce point, je souhaite que nous puissions collectivement analyser les problèmes posés, dans le détail, et trouver des solutions adaptées, dans le respect des grands principes qui doivent guider notre action, c’est à dire la responsabilisation des services et l’équité.
Vous avez par ailleurs abordé le sujet du devenir des effluents des stations d’épuration urbaine. Je voudrais vous dire la grande importance que j’attache à la valorisation de ceux-ci par le biais de l’épandage agricole. Même si des difficultés sont apparues, cela ne doit pas nous conduire à abandonner cette filière, dont le bilan écologique est de loin le meilleur. Je souhaite donc relancer le travail mené conjointement avec la profession agricole, visant à en sécuriser l’emploi, ce qui passe par diverses actions complémentaires telles que la qualité des effluents mais aussi la traçabilité et la transparence vis-à-vis du citoyen ainsi que la mise en place d’un fonds de garantie, voire la lutte contre des publicités commerciales injustifiées.
Plus généralement, il nous faudra nous attacher, dans les prochains mois, par le biais d’un dialogue avec la profession agricole, à examiner les interactions entre la politique agricole et la politique de préservation des milieux aquatiques de notre pays, et à faire converger ces deux politiques, toutes deux légitimes et complémentaires. Je sais, pour en discuter avec nombre d’entre vous depuis plusieurs mois, que nous y sommes prêts. La Bretagne qui nous accueille aujourd'hui a déjà largement engagé et concrétisé cette volonté de dialogue en adoptant une charte du développement pérenne de l'agriculture et de l'agroalimentaire et de la reconquête de la qualité de l'eau. Le débat de cette année devrait être une occasion idéale de mener enfin une concertation constructive, pour sortir d’un affrontement stérile que nous subissons depuis maintenant plus de dix ans.
Mais, au-delà de ces différents points, je sais que vous avez beaucoup discuté au cours de ces deux jours - la table ronde que Vous animiez à l’instant, Monsieur le Président, lui était consacrée, de la décentralisation et de son impact en matière de politique de l’eau, notamment sur la base des propositions du Conseil Régional de Bretagne sans doute en pointe sur cette réflexion.
Je tiens tout d’abord à rappeler que la politique de l’eau est déjà très largement décentralisée… à tel point d’ailleurs que la mise en œuvre des directives européennes dépend largement de l’implication des collectivités tout autant que de l’Etat lui-même, ce qui n’est pas sans poser problème quand les retards s’accumulent : qui est responsable ?
Je précise que cette question n’est pas une question d’école et que les nombreux contentieux communautaires en cours risquent fort de nous amener, hélas, à nous la poser dans un avenir pas si lointain.
Cela étant, je suis intimement persuadée que cette implication des collectivités est essentielle pour la réussite de nos objectifs. Ne constate-t-on pas que l’élaboration des SDAGE puis leur mise en œuvre constituent l’une des clefs ( !) du succès de la réalisation des SDAGE ?
Pour cette réflexion sur le rôle des différents acteurs, à laquelle nous incite le Premier ministre, deux principes doivent nous guider : d’une part, un principe de responsabilité (celui qui assure une compétence en assume les responsabilités,), et d’autre part, un principe d’efficacité ayant généralement comme corollaire celui de simplicité (à quel niveau l’action sera-t-elle la plus lisible, la plus simple et au final la plus efficace pour nos concitoyens ?)
Je crois également qu’il faut avoir sur ces sujets une très large capacité d’adaptation, et laisser une large place à l’expérimentation. En Bretagne par exemple, la circonscription administrative de la collectivité régionale et le sous bassin hydrographique coïncident assez largement, ce qui donne un rôle de leader naturel et incontesté au Conseil Régional. Il n’en est pas de même partout ! Ainsi, pour l’essentiel, il me semble que les outils d’une gestion adaptée au territoire existent, mais qu’il faut probablement réfléchir dans chaque région, dans chaque bassin sur le bon niveau de responsabilité, et le bon niveau d’exécution. Il nous faut également réfléchir à l’articulation des compétences et notamment aux possibilités d’utilisation de la délégation républicaine à l’image de ce qui se fait pour les maires en matière d’état civil.
A cet égard, j’ai déjà eu l’occasion devant les Présidents de comité de bassin, de réitérer mon attachement à l’architecture institutionnelle actuelle des autorités de bassin, et notamment au statut d’établissement public de l’Etat des agences de l’eau. Cela ne veut pas dire que le système doit rester figé, et que des évolutions ne sont pas possibles. Sans vouloir déflorer le débat qui aura lieu ces prochains mois, je souhaite quand même évoquer certaines pistes avec vous ce soir.
Vous proposez que l’élaboration de la réglementation nationale et européenne soit plus concertée avec les collectivités : je partage pleinement votre avis, d’autant que ce seront elles qui la plupart du temps auront à l’appliquer. Reste à trouver, lors du débat, les meilleures façons de le faire, notamment dans l’élaboration des réglementations européennes.
En matière de planification, j’ai déjà été amenée à dire mon sentiment favorable à l’approbation des SAGE par les Conseils Régionaux. Par contre, il ne me semble ni nécessaire ni souhaitable de créer un nouveau type de schéma ,intermédiaire entre le SDAGE et le SAGE, ainsi que cela a été proposé.
Je crois comprendre les aspirations du Conseil Régional de Bretagne, à jouer un rôle naturel de chef de file sur le bassin Bretagne, tout en restant rattaché au bassin Loire-Bretagne dans un souci de conserver une taille suffisante au bassin pour que puisse s’y exercer une réelle solidarité entre les acteurs de l’eau. Mais alors, pourquoi ne pas faire tout simplement un SDAGE Bretagne et un SDAGE Loire à l’intérieur du bassin Loire-Bretagne, solution qui aurait l’avantage de la simplicité !
S’agissant des maîtrises d’ouvrages, il me semble que les collectivités ont naturellement vocation à jouer ce rôle. Plutôt que de choisir a priori entre tel ou tel niveau de collectivité, il me semble plus pertinent de faire ce choix au cas par cas, en fonction du contexte géographique et administratif ainsi que de l’implication de chacun : cela permet de désigner soit la collectivité naturelle soit une collectivité, chef de file, soit encore un groupement de collectivités, par le biais d’un établissement public territorial de Bassin.
Les propositions avancées par la Région Bretagne en matière de coordination régionale des financements me paraissent intéressantes, notamment si cela est fait par la voie « contractuelle « sur la base d’objectifs clairement identifiés et d’indicateurs de résultat négociés au sein du Comité de Bassin. Elles pourraient à mon sens rapidement faire l’objet d’une expérimentation même si logiquement, l’exercice ne prendrait sa pleine efficacité qu’après la réalisation du SDAGE correspondant.
J’ai bien noté, par contre, que vous ne souhaitiez pas que les collectivités s’impliquent en matière de police de l’eau … la peur du gendarme, je suppose. Il est vrai que, d’une certaine façon, il apparaîtrait plus cohérent de compléter le pôle de compétences ainsi constitué, de la programmation au contrôle de l’application. Il est cependant tout aussi vrai que la police de l’eau concerne d’autres réglementations que celles liées à la réalisation du SDAGE et dont l’Etat ne pourrait se dessaisir : cela pourrait conduire de fait à une complexité accrue voire à des conflits de compétence alors que c’est plutôt l’inverse que chacun appelle de ses vœux. Par contre on peut imaginer qu‘il convienne de concerter, ou de contractualiser, entre la Région et l’Etat.
Enfin, je voudrais m’arrêter sur le délicat problème de l’évaluation et de la collecte des données. L’Etat doit être le garant de la mise en œuvre des engagements internationaux de notre pays, ainsi que des principes que nous allons introduire dans la Constitution, que ce soit pour la mise en œuvre des directives européennes, souvent exigeantes en la matière, ou en matière d’information du public. A ce titre, il lui revient sans conteste d’être celui qui dit quelles données doivent au minimum être acquises et diffusées, et de mener des politiques d’évaluation au niveau national. J’ai pour cela demandé au directeur de l’eau de mettre en place un schéma directeur des données sur l’eau, qui permettra de formaliser ces exigences. Une étude est en cours, qui permettra de finaliser ce travail pour la fin de l’année.
L’Etat a également des besoins propres en matière de données pour l’exercice de ses missions régaliennes, que ce soit pour la prévision des crues, ou l’exercice de la police de l’eau.
Cela étant, cette responsabilité et ces besoins de l’Etat n’empêchent pas, bien au contraire, qu’une collectivité prenne en charge, dans le cadre d’une délégation républicaine, la mise en place de tout un pan du schéma directeur et le complète si elle le souhaite… à l’exception je crois des données nécessaires aux missions régaliennes, pour lesquelles il faut que les responsabilités soient clairement affichées .
En ce sens, j’accueille avec beaucoup d’intérêt la proposition du Conseil Régional de Bretagne de mettre en place un observatoire breton de l’eau, et souhaite qu’un travail puisse avoir lieu entre les services pour en définir les contours, et les missions qui lui seraient déléguées. Cela n’empêche pas que cet Observatoire pour telle ou telle donnée travaille en partenariat avec les services de l’Etat ou certains établissements publics qui paraissent le mieux à même de fournir certaines données dans le cadre d’un cahier des charges préalablement fixé.
Comme vous le voyez, les thèmes de réflexion et de convergence sont nombreux et me paraissent mériter un approfondissement au niveau national. L’année 2003, année mondiale de l’Eau et du Sommet mondial de l’Eau, à KYOTO, constitue ainsi une opportunité symbolique pour ce débat national sur l’eau, en nous permettant à la fois de répondre à l’enjeu national qui se présente à nous, et de s’ouvrir aux enjeux planétaires qui fondent certains des engagements pris par la Communauté internationale et particulièrement par le Président de la République à JOHANNESBURG.
Le débat que j’ai décidé d’engager se déroulera en trois phases.
Une première phase nationale, qui est commencée, permettra par des contacts bilatéraux avec les représentants nationaux des principaux acteurs de définir les enjeux et le champ du débat local et de bâtir un document de référence qui serve de base à la concertation.
S’en suivra une phase de débat local, dans le courant du deuxième trimestre 2003, qui s’articulera largement autour des comités de bassin et de leurs commissions géographiques. Les Conseils Régionaux et Généraux seront également sollicités pour fournir des contributions, sur la base du document précité. Vos travaux nourriront bien évidemment cette contribution.
Enfin une phase de débat national, dans le courant du deuxième semestre 2003, pourrait notamment donner lieu, en liaison avec le Parlement, à des Assises nationales. L’objectif en sera bien sûr la synthèse des recommandations, qui serviront de base à la construction d’une politique de l’eau rénovée et d’un plan d’action partagé par tous les acteurs ainsi qu’à l’ossature d’un projet de loi qui viendrait en discussion au Parlement en 2004. Pour cette phase, des réflexions sont également en cours sur la façon d’associer le grand public dans l’esprit du principe de participation qui compte tant pour nous.
Ainsi que vous pouvez le constater, l’année 2003 sera riche en débats et contributions de toutes sortes. Vous avez en quelque sorte « ouvert le bal », soyez en remerciés.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention