Mesdames
et Messieurs les Parlementaires, Messieurs les Présidents,
Je suis heureuse de vous accueillir aujourdhui au Ministère de
lAménagement du Territoire et de lEnvironnement pour débattre avec vous du
projet de réforme de la politique de leau, dans le cadre de la concertation
que je conduis depuis maintenant près de deux ans.
Cette concertation devrait permettre une validation interministérielle
à lautomne prochain du projet de loi révisant les lois sur leau de 1964 et
1992 et encadrant le 8eme programme dintervention des agences de
leau, afin quil soit soumis au Parlement au plus tard au début de lan
prochain et je lespère voté au cours de lannée 2001.
Comme vous le savez, puisque de nombreux débats sont en cours dans les
instances de bassin sur ce projet, cette réforme repose sur deux piliers :
la réforme des redevances des agences de leau pour les rendre
plus compréhensibles pour les redevables, plus équitables et plus
conformes au principe pollueur payeur ;
la redéfinition des missions des services publics de
leau et de lassainissement, des conditions dans lesquelles elles
sexercent en régie ou sont déléguées à des compagnies privées et des
modalités détablissement de la facture deau.
Le système actuel des agences de leau a eu limmense
avantage de permettre le financement des programmes de dépollution selon un principe
mutualiste : consommateurs deau, industriels et, marginalement,
agriculteurs " cotisent " aux agences de leau, ce qui permet à
celles-ci de consacrer plus de 10 milliards de francs à la reconquête de la
qualité de leau et des milieux aquatiques.
Je suis attachée à ce système et cest pourquoi jai voulu
que les redevances des agences restent acquises dans leur totalité à la politique de
leau et continuent pour lessentiel à être gérées par les agences de
leau.
Le mode de calcul actuel de ces redevances est par contre beaucoup plus
contestable : il est opaque, parfois inéquitable, et souvent très
éloigné du principe pollueur payeur censé lui servir de base.
Tout dabord, il fait reposer la grande majorité du
financement des agences de leau sur les usagers domestiques, qui contribuent à
hauteur de 70 % du budget des agences. Le taux de la redevance pour pollution
domestique quils acquittent na en outre rien à voir avec la pollution
rejetée : cest un système complexe et forfaitaire de contre valeur qui vise
à une seule chose, rapporter des sommes importantes.
La place considérable prise par le coefficient de collecte,
dont le seul but est de financer des tuyaux en est dailleurs lillustration,
puisquà lui seul, il triple presque la redevance payée par les usagers
domestiques !
Cest pourquoi je souhaite substituer au système actuel, qui
combine cette redevance de contre-valeur et une prime pour épuration versée aux
syndicats dassainissement, une redevance de pollution nette directement
acquittée par ces syndicats intercommunaux dassainissement. Lintégration
des rejets des industriels raccordés aux réseaux dassainissement dans
lassiette de cette redevance, ainsi que la disparition progressive, en 10 ans par
exemple, du coefficient de collecte, contribueront à cette opération vérité qui
devra se faire sans alourdissement de la pression fiscale globale qui pèse sur
lusager domestique.
Daprès les résultats des concertations qui mont été
rapportés, il semble que ces axes de réforme soient bien compris des consommateurs
deau, bien sûr, puisquils correspondent à leurs revendications, mais
aussi des associations délus, lAMF mayant notamment fait part de
son soutien.
Quant aux industriels, pour qui cette réforme risque de se
traduire par un alourdissement des redevances quils acquittent sils sont
raccordés à un réseau dassainissement, ils nen contestent par le principe
même sils souhaitent évidemment que cette augmentation soit la plus progressive
possible.
En ce qui concerne les industriels non raccordés, ils resteront
redevables aux agences de leau en fonction de la pollution nette quils
rejettent. La seule réforme que jenvisage en la matière est dajouter à
lassiette de cette redevance les substances radioactives et les rejets qui
provoquent une augmentation de la température des cours deau.
La situation des agriculteurs est plus complexe. En matière de
pollution, seuls les éleveurs sont actuellement censés acquitter la redevance créée
dans le cadre du PMPOA. Les élevages sont pourtant loin dêtre la seule cause de
pollution agricole : même dans une région comme la Bretagne, les effluents
délevage napportent quà peine la moitié des quantités totales
dazote épandues.
Je propose donc de remplacer cette redevance sur les élevages par une redevance
horizontale beaucoup plus équitable sur les excèdent dazote, quelle que soit
leur provenance, minérale ou organique. Calculée sur la base dun bilan global par
exploitation, elle appliquera vraiment le principe pollueur payeur, puisque seules les
exploitations dont la fertilisation est équilibrée y seront assujetties.
Cette redevance correspond à une revendication des organisations
agricoles qui nont jamais contesté lintérêt de traiter de manière
homogène les surfertilisations dues aux élevages et celles dues aux cultures, mais
sopposaient par contre à juste titre à la création dune taxe sur les sacs
dengrais, quils jugeaient injuste car sil nest pas en excès,
lazote ne pollue pas, il sert à faire pousser les plantes.
Aujourdhui, certains, parfois des mêmes organisations
agricoles, plaident que cette redevance sur les excédents serait trop
compliquée et impossible à mettre en uvre. Je ne le crois pas : une
redevance semblable existe depuis 1999 aux Pays Bas et en tout état de cause, sa
faisabilité est en cours de test dans différents secteurs répartis entre les bassins
pour que nous puissions tous être rassurés sur ce point.
En ce qui concerne les consommations deau, la situation
actuelle est particulièrement inéquitable : un système de coefficient
dusage fait varier considérablement, dun facteur qui va de 1 à 40, la
redevance perçue selon que leau est utilisée pour lirrigation,
lindustrie ou leau potable.
De fait, les agriculteurs acquittent actuellement seulement 6,5 % du
total des redevances sur les consommations deau versées aux agences alors que
la consommation deau pour des usages agricoles représente 68 % du total des
consommations deau en France. Lusage de leau dans lagriculture
nest certes pas illégitime mais il nest pas non plus davantage légitime que
lalimentation en eau potable de nos concitoyens.
Je propose en conséquence une suppression à terme de ces
coefficients dusage, la redevance sur les consommations deau étant à
linverse modulée suivant la rareté et le degré de surexploitation de la ressource
en eau. Jai toutefois bien évidemment conscience que pour être opérationnelle,
une telle réforme ne peut pas se traduire par une augmentation brutale et non compensée
des prélèvements qui pèsent sur les agriculteurs. Cest pourquoi mes services
étudient ce que pourrait être un dispositif atténuateur, par le versement par
les agences de leau de subventions à la bonne gestion de leau.
La mise en place de structures de gestion collective qui
permettent le partage optimal de la ressource entre les différents usages de leau,
à linstar des démarches engagées dans cette voie dans le bassin de lAdour,
en Charente ou même dans la Beauce, pourrait être ainsi encouragée. Je compte sur votre
aide pour quensemble, nous définissions un mode de réforme qui soit à la fois
équitable, incitatif à une bonne gestion de leau et socialement acceptable.
Enfin, pour en terminer avec la réforme des redevances des agences de
leau, nous étudions également la possibilité de créer au bénéfice des agences
de leau des redevances sur les ouvrages et aménagements qui modifient le régime
des eaux.
Ceci concerne tout dabord les dérivations de cours
deau qui mettent à sec certains tronçons au profit, par exemple dusines
hydroélectriques, avec toutes les conséquences que cela induit sur le fonctionnement des
écosystèmes aquatiques. Les négociations en cours sur ce point, en particulier avec
EDF, paraissent en bonne voie.
Par ailleurs, certains aménagements aggravent les inondations ;
les récents événements de la fin de lannée dernière comme dailleurs
encore les coulées de boues déplorées la semaine dernière en Haute Normandie
illustrent la nécessité dune action résolue pour les prévenir. Des redevances
sont ainsi envisagées sur les imperméabilisations de surfaces importantes (zones
industrielles, hypermarchés ou aéroports, qui posent dailleurs également des
problèmes de pollutions à cause des ruissellements en temps de pluie).
Lagence de leau Seine Normandie est en pointe sur cette
question ; cest pourquoi jai confié à Robert GALLEY une mission de
réflexion pour me faire des propositions à ce sujet. Par ailleurs, une redevance sur les
nouveaux aménagements qui conduiraient à la consommation de surfaces importantes de
champs dexpansion de crues est également envisageable.
Cette réforme des redevances des agences de leau a un peu
tendance à monopoliser lattention de ceux qui travaillent sur le projet de réforme
de la politique de leau, en particulier, et cest bien normal, dans les
instances de bassins. La réforme a toutefois une autre composante qui touche de très
près les préoccupations de lensemble des français : la redéfinition des
missions et des conditions de fonctionnement des services publics de leau et de
lassainissement ainsi que de facturation de leau.
A cet égard, je souhaite tout dabord réaffirmer que la
distribution de leau et lassainissement relèvent du service public.
Jentends préciser les missions de ce service public qui ne sont actuellement que
partiellement traitées par des textes disparates et souvent anciens.
Il faudra ainsi voir comment ces services publics assurent la
satisfaction du droit daccès à leau potable de chaque personne humaine.
Nous sommes ici au cur dun sujet de société, qui a notamment dominé les
débats du forum mondial sur leau qui sest tenu, à la Haye, en mars dernier.
Certes, leau paye leau et la récupération des coûts
daccès à leau fait partie des principes posés par la directive-cadre sur
leau en cours délaboration. Mais ce principe ne saurait se mettre en
uvre que dans le respect de la satisfaction des besoins vitaux de chacun. Les
dispositifs de la solidarité sur une base de volontariat qui existent actuellement ne me
paraissent pas donner complète satisfaction ; la création dun fonds au
bénéfice des personnes qui ne peuvent acquitter leurs factures deau pourrait
être envisagé.
Il fut aussi une gestion aussi économe et responsable que
possible. Le principe dune facturation de leau proportionnelle au volume
consommé sinscrit dans cet objectif mais il est souvent remis en cause par
limportance que prend parfois la part fixe ainsi que par les facturations
dégressives dont bénéficient certains gros consommateurs. Je souhaite donc mieux
encadrer déventuelles dérogations à ce principe de facturation proportionnelle.
Il me semblerait dailleurs opportun que de telles dérogations
fassent lobjet de débats préalables au niveau local, dans le cadre des commissions
consultatives dusagers. Le mécontentement quexpriment souvent nos
concitoyens sur lopacité du fonctionnement des services publics deau et
dassainissement pourrait en effet je crois se résoudre par un meilleur débat au
niveau local.
Les règlements des services publics ou la structure
tarifaire pourraient ainsi être débattus dans ces conditions consultatives où
" le rapport du Maire " sur le fonctionnement du service public serait
présenté annuellement.
Les conditions selon lesquelles la gestion des services publics
deau et dassainissement peut être déléguée à des compagnies privées
souvent importantes et souvent prospères (...) sont également la source de débats voire
de polémiques et de nombreuses voix sélèvent pour réclamer une meilleure
régulation du secteur. Le caractère oligopolistique de ce marché suscite en effet
de fréquentes interrogations sur la réalité de la concurrence qui sy exerce.
Dores et déjà, jai proposé la création dun Haut
Conseil du Service Public de lEau et de lAssainissement, sorte de comité
des sages dont la fonction serait de définir les bonnes pratiques en ce qui concerne le
fonctionnement de ces services publics et notamment les relations entre les collectivités
et les sociétés délégataires.
La parution du décret est actuellement difficile, le Conseil
dEtat semblant considérer quune telle création est de niveau législatif. Je
propose donc que ce sujet soit repris dans le projet de loi, en examinant la possibilité
daller plus loin vers une véritable régulation, à linstar de ce que
fait lART dans le domaine des communications, comme me la dailleurs
proposé votre collègue Dominique Baert au nom du Haut Conseil du Service Public.
En tout état de cause, en vue dun meilleur équilibre entre
la gestion en régie directe et la gestion déléguée, mes services étudient comment
faciliter la constitution de provisions par des collectivités publiques dans la
perspective de gros investissements et à linverse assurer que les provisions pour
renouvellement de réseaux facturées par les délégataires bénéficient bien aux
services publics.
Réforme des redevances, service public de leau et de
lassainissement, ces deux piliers me paraissent de nature à fournir les bases
dun projet de loi dense, qui réponde aux demandes de nos concitoyens.
Parmi les autres points qui pourraient être traités, laccélération
des procédures délaboration des SAGE me paraît à souligner. Innovation
principale de la loi sur leau de 1992, ces documents peuvent fournir un cadre
précieux à une gestion globale de leau, qui définisse précisément les droits et
obligations de chacun.
Seuls deux SAGE sont approuvés à lheure
actuelle. Assouplir les conditions de maîtrise douvrage des travaux préalables aux
SAGE, mieux aider les études nécessaires à ces réflexions préparatoires, accorder un
soutien préférentiel dans le cadre des interventions des agences de leau aux
projets qui sinscrivent dans des SAGE sont autant de pistes qui peuvent être
envisagées.
Avant de débattre avec vous de ces projets, je souhaite revenir sur
une des critiques qui me sont le plus fréquemment exposées, selon laquelle ma réforme
sinscrirait dans un esprit de recentralisation larvée qui dépouillerait de
leurs compétences les institutions de bassin.
A votre double titre de parlementaires et de membres des comités de
bassin, vous êtes particulièrement bien placés pour apprécier les termes du débat. Il
me semble que le rôle de chacun est clair : au gouvernement, il appartient
de proposer la politique nationale de leau et cest bien au Parlement
quil revient de la définir et de lapprouver ; lui seul a pour le faire
la légitimité que confère le suffrage universel.
Il ne sagit pas pour autant de nier le rôle irremplaçable des
institutions de bassin. Les comités de bassin constituent un lieu de débat
et de concertation et une force de propositions extrêmement précieux. Leurs avis
et suggestions sur le projet de réforme sont très attendus et cest bien à partir
de leurs travaux que se définiront les prochains programmes dintervention des
agences de leau.
Si le Parlement les encadrera, en définissant lassiette
des redevances, en en encadrant les taux, et en déterminant les grandes
politiques dintervention, cest bien ensuite les comités de bassin et les
agences de leau qui finaliseront et approuveront ces programmes et les mettront en
uvre. Pour quils sinscrivent pleinement dans cette réforme, jai
suggéré aux présidents des agences de leau que le début du 8ème
programme dintervention soit repoussé dun an ; cette
proposition me paraît avoir recueilli un large accord.
Jen ai terminé avec mon exposé liminaire. Je souhaite
maintenant avoir avec vous la discussion la plus large possible sur ces axes de réforme.
Membre de la représentation nationale qui débattra du projet de loi et spécialiste des
questions deau par votre participation aux comités de bassin, votre avis mest
en effet extrêmement précieux.
Cette concertation se poursuivra bien entendu. Je serai ainsi notamment
auditionnée le 13 juin par le groupe détudes sur leau de lAssemblée
Nationale, après lavoir été par celui du Sénat.
Je vous remercie de votre attention.