"Mesdames et Messieurs,J'ai souhaité rencontrer aujourd'hui les représentants des
associations de consommateurs qui agissent dans le domaine de l'eau, et
notamment celles représentées au Comité national de l'eau et à
l'Observatoire du prix de l'eau, car je sais que la question de l'eau est
particulièrement sensible pour vos adhérents.
Je souhaite d'abord vous exposer succinctement les principaux axes
de ma politique dans ce domaine, afin de lancer la discussion. J'ai présenté
au conseil des ministres, é'le 20 mai dernier, une communication sur la
rforme des politiques publiques dans le domaine de l'eau, définissant des axes d'intervention
qui répondent aux objectifs suivants :
- un secteur de l'eau et de l'assainissement plus
transparent et plus démocratique ;
- une eau de meilleure qualité, grâce au principe "
pollueur-payeur " et à une meilleure application de la réglementation.
Sur le premier point, il me semble - mais je serais heureuse de vous
entendre à ce sujet -, que nos concitoyens acceptent de payer l'eau à son
juste prix, à condition de savoir où va l'argent et d'avoir la certitude
qu'il est bien utilisé.
La création d'un haut conseil du service public de l'eau et de
l'assainissement vise justement à améliorer cette transparence, en exerçant
une mission de veille et d'alerte des autorités sur tout ce qui concerne le
prix de l'eau et sa facturation, la passation des marchés publics et des
modalités de délégation de services publics, la gestion de ces services,
l'information du public, etc. Le décret créant ce haut conseil est en cours
de consultation interministérielle, et devrait paraître, je l'espère, au
cours des prochains mois.
L'élargissement de la composition des instances de bassin (comités
de bassin et conseil d'administration des agences de l'eau) va également
dans le sens d'une plus grande transparence. Dans le cadre du renouvellement
général de ces instances, prévu pour la fin de cette année, la place des
associations de consommateurs et de protection de l'environnement sera
accrue, et la représentation des collectivités sera rééquilibrée au profit
des grandes villes.
Agir sur les structures est sans doute important, mais je suis bien
consciente que ce n'est pas suffisant pour modifier en profondeur le
fonctionnement d'un secteur qui reste opaque et mal compris de nos
concitoyens. Il faut également agir sur les composantes du prix de l'eau,
qu'il s'agisse des redevances payées aux agences de l'eau, ou des modalités
de fixation de ce prix lui-même.
En ce qui concerne les redevances, j'ai lancé une importante réforme
de la redevance pour pollution domestique prélevée sur la facture d'eau. Le
système actuel est en effet particulièrement incompréhensible et peu
pédagogique, puisqu'il s'agit d'une " contre-valeur " fixée forfaitairement
en francs par mètre cube dans le but de garantir le niveau de financement
dont les agences ont besoin. Du coup, cette redevance augmente quand la
consommation baisse !
Différentes pistes sont en cours d'étude. L'une d'entre elles, qui
me paraît séduisante et sur laquelle j'aimerais avoir votre avis,
consisterait à ne plus faire payer cette redevance par le consommateur
d'eau, mais directement par la commune ou le syndicat intercommunal d'eau et
d'assainissement, en fonction du niveau de dépollution atteint. En effet, le
consommateur d'eau n'a guère de possibilité de réduire sa pollution
individuelle, tandis que la commune et le syndicat décident des
investissements d'assainissement à réaliser, et donc de la pollution
rejetée.
Plus généralement, en ce qui concerne les agences de l'eau, une loi
de programmation devra être votée tous les cinq ans. Le Parlement arrêtera
ainsi les programmes d'intervention des agences, et définira les bases de
leurs redevances. Chaque année, 10 milliards de francs sont consacrés par
les agences à la politique de l'eau. Il me paraît donc justifié que cette
politique soit discutée et définie par la représentation nationale.
Pour les autres aspects du prix de l'eau que la redevance elle-même,
mon ministère a moins de moyens d'intervention dans son champ de
compétences. J'ai cependant vivement souhaité qu'une réflexion s'engage sur
l'aspect social de l'accès à l'eau potable.
La charte solidarité eau définie par la loi contre l'exclusion de
Martine Aubry connaît certes un démarrage difficile. Il est pourtant
essentiel de garantir que les personnes en difficulté ne voient pas leur
situation aggravée au-delà du tolérable par une coupure d'eau potable. Un
groupe de travail a été mis en place par le ministère des Affaires sociales,
afin d'inciter les distributeurs d'eau à plus de volontarisme en la matière.
Je souhaiterais par ailleurs avoir votre point de vue sur deux
autres questions :
-1. la définition d'une facturation de l'eau progressive et non plus
dégressive. Par ce système, une première tranche de consommation
correspondant aux besoins vitaux de l'individu serait facturée à un prix
très faible, et à l'inverse les gaspilleurs seraient pénalisés.
Cela suppose toutefois le comptage individuel des consommations
d'eau, encore rare dans l'habitat collectif. Le ministère de l'Aménagement
du territoire et de l'Environnement envisage donc de participer
financièrement à la mise en place de compteurs individuels dans l'habitat
social : des négociations sont en cours actuellement avec Bercy pour
disposer des moyens nécessaires.
Cette idée d'une facturation progressive nécessite également de
s'assurer que les bénéficiaires en seront bien les familles aux revenus
modestes et non, par exemple, les propriétaires de résidence secondaire.
Cette réflexion sur la facturation progressive porte également sur la
définition du seuil entre la part fixe et la part proportionnelle du prix de
l'eau.
-2. L'instauration d'un certain degré de péréquation du prix de
l'eau. Je ne suis pas favorable a priori à une péréquation nationale, parce
que l'eau est une ressource locale, qui se transporte difficilement sur de
longues distances, et qu'il ne me paraît pas illégitime que, pour inciter à
sa préservation, elle soit plus chère là où elle est plus rare ou plus
vulnérable. Une péréquation à une plus faible échelle, par exemple au niveau
départemental, serait peut-être un moyen de mettre fin à certaines des
inégalités les plus criantes entre communes voisines.
J'ai pour ambition de rendre aussi transparent que possible le
secteur de l'eau et de l'assainissement, mais, en tant que ministre chargée
de l'Environnement, j'ai d'abord pour ambition de rendre transparente l'eau
elle-même, c'est-à-dire de reconquérir des nappes, des rivières et des
milieux aquatiques de bonne qualité.
Pour ce faire, la puissance publique dispose de deux outils : la
réglementation et la fiscalité. En ce qui concerne l'outil réglementaire,
l'arsenal à ma disposition me paraît complet, avec des directives
communautaires dans tous les domaines, et notamment une nouvelle directive
sur l'eau potable qui renforce considérablement la protection de la santé du
consommateur, en durcissant les normes sanitaires, notamment en ce qui
concerne le plomb, mais aussi grâce à la loi sur l'eau de 1992, dont les
textes d'application sont maintenant tous parus.
En matière de réglementation, la priorité est maintenant à
l'application de ces textes. Cela passe tout d'abord par une élaboration
volontariste de ces documents fondamentaux que sont les SAGE (schémas
d'assainissement et de gestion des eaux) ; des consignes sont données en ce
sens aux préfets à chaque occasion, récemment encore, par exemple, pour la
nappe de la Beauce.
Cela passe surtout par une police de l'eau plus efficace. Dès cette
année, 28 postes de gardes-pêche et 9 postes de responsables de mission
inter-services de l'eau (MISE) ont été créés sur le budget de mon ministère,
et 140 millions de francs supplémentaires sont attribués à la connaissance
et à la police de l'eau et des milieux aquatiques. Cet effort se poursuivra.
L'outil économique et financier, dans le domaine de l'eau, c'est
l'application du principe " pollueur-payeur ". L'extension de éééla taxe
gnrale sur les activités polluantes (TGAP) au
domaine de l'eau doit aller dans ce sens. Après quatre mois de concertation
à l'automne dernier, les principes suivants ont été arrêtés :
-1. Dans les domaines déjà concernés par les redevances des agences
de l'eau, c'est-à-dire les pollutions industrielles, les pollutions
domestiques et les prélèvements d'eau, tout devra s'effectuer à prélèvement
fiscal constant. Il est en particulier totalement exclu que l'application de
la TGAP à l'eau conduise à une quelconque augmentation du prix de l'eau.
Une part du montant actuel des redevances restera prélevée sous
cette forme pour financer les politiques des agences de l'eau. Le reste
abondera un compte spécial du trésor affecté au budget de mon ministère pour
financer les politiques d'intérêt général dans le domaine de l'eau.
C'est cette deuxième part qui intégrera la TGAP, et permettra de
mieux moduler la fiscalité pesant sur l'eau, afin qu'elle corresponde
réellement à l'application du principe " pollueur-payeur ", c'est-à-dire
qu'elle dissuade les comportements les plus polluants ;
-2. Dans les domaines actuellement non concernés par les redevances
des agences, des taxes pourront être créées pour rejoindre directement le
budget de l'Etat, via la TGAP. Ainsi, nous étudions la taxation des
activités qui modifient le régime des eaux et aggravent en conséquence les
inondations : extraction de granulats dans les vallées alluviales, ouvrages
dans les rivières, imperméabilisations, remblais de zones inondables, etc.
Surtout, et n'en déplaise aux énergumènes qui ont envahi ce
ministère la semaine dernière, il me paraît tout à fait anormal que les
pollutions diffuses d'origine agricole restent la seule source notable de
pollution actuellement non concernée par le principe " pollueur-payeur ".
C'est pourquoi la faisabilité d'une taxation de l'azote et des pesticides
est actuellement étudiée au sein d'un groupe de travail " eau et agriculture
", dans lequel les associations de consommateurs sont d'ailleurs
représentées.
Afin d'en débattre maintenant avec vous, je souhaite entendre vos
réactions à cet exposé liminaire des grandes lignes de ma politique, ainsi
que, plus largement, vos préoccupations sur ce thème essentiel de l'eau.
Je vous remercie de votre attention."