Première table ronde :
"Boues d'épuration : vers quel contexte et quelle
réglementation européenne à moyen terme ?"
Le point de vue des intervenants
Georges-Marc Chassot - Ingénieur agronome - Section des eaux usées et de l'agriculture Office Fédéral de l'environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) - Suisse
Interdite depuis le 1
er mai 2003 pour les cultures maraîchères et fourragères, l'utilisation des boues d'épuration comme engrais sera totalement prohibée en Suisse, le 1
er octobre 2006. Encouragés financièrement par la politique agricole adoptée en 1998, soumis à la pression des distributeurs et des consommateurs, les agriculteurs suisses s'orientent de plus en plus vers la production de denrées alimentaires certifiées par un label de qualité. En conséquence, l'évacuation des résidus de l'épuration suit les filières de l'incinération et de la valorisation énergétique après séchage.
Hallvard Odegaard - Professeur - Université norvégienne des sciences et des technologies - Norvège
La Norvège développe deux stratégies, l'une favorisant la valorisation agricole, l'autre le concept de "multivalorisation" des boues. Une réglementation a été mise en place pour l'épandage agricole des boues d'épuration en 1995. Elle prévoit, entre autres, des normes pour les métaux lourds dans les boues et les sols destinataires, selon la culture réceptrice et une obligation d'épandre des boues "hygiénisées", stabilisées et déshydratées. L'un des objectifs affichés était de recycler en agriculture (sur cultures ou espaces verts) 75% des boues produite en 2000. La "multivalorisation" des boues est basée sur la récupération de ses différents composants ayant un intérêt économique. Le procédé "Krepro" illustre ce concept ; il permet de recycler certains éléments de la boue en biocarburant, coagulant, phosphore et source de carbone.
Ralf Bleicher - Adjoint au conseil de district - Fonds de garantie et contrôle de la qualité des boues -Allemagne
Depuis 1990, en Allemagne les communautés productrices de boues d'épuration ont créé un fonds de garantie volontaire (qui regroupe 900 producteurs de boues) au bénéfice des agriculteurs qui pratiquent l'épandage. Ce fonds confère aux utilisateurs la garantie d'une indemnisation lorsque la responsabilité du producteur est mise en cause. Le dossier instruit par une commission indépendante évite le recours au tribunal. Ce fonds est intervenu une vingtaine de fois depuis sa création pour un montant total de 26 000 €. En 1999, un deuxième fond fédéral a été institué. Celui-ci, depuis sa création, n'a jamais fonctionné.
Luca Marmo - Administrateur à la direction générale de l'environnement - Commission Européenne
La législation des pays de la Communauté européenne relative à l'utilisation des boues d'épuration en agriculture résulte de la transposition de la directive 86/278 de 1986. Bien que les rapports transmis par les états-membres montrent une légère diminution de cette filière de fertilisation des sols entre 1995 et 2000, la Communauté européenne estime qu'elle reste la meilleure option environnementale pour autant qu'elle ne représente une menace ni pour l'environnement ni pour la santé humaine ou animale. C'est pourquoi elle prévoit de proposer une révision de la directive de 1986 qui renforcera les dispositions présentes et tiendra compte de l'évolution des connaissances scientifiques en la matière.
Madeleine Paulin - Sous Ministre de l'Environnement - Ministère de l'environnement - Québec
Au Québec, 77% des boues sont éliminées soit par incinération (43%) soit par enfouissement (34%), le reste est valorisé par compostage (12%), épandage (9%), ou fabrication de granulés (2%).
Les 86 municipalités régionales du comté ont l'obligation de présenter un plan de gestion des matières résiduelles non dangereuses. Ces plans sont analysés par la société (d'Etat) Recyc-Québec avant autorisation ministérielle. La mission de cette société est de promouvoir, développer et favoriser la réduction, le réemploi, le recyclage et la valorisation des matières résiduelles dans une perspective de conservation des ressources.
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Deuxième table ronde :
"Stratégies des collectivités et des industriels de l'assainissement
vis-à-vis de la problématique boues"
Le point de vue des intervenants
Jean Jacques Hérin - Directeur Général des Services Techniques - Syndicat Intercommunal d'Assainissement de la Région de Douai (SIADO) - France
Le Syndicat Intercommunal d'Assainissement de la région de Douai (SIADO) a fait le choix du séchage thermique des boues de la station de Douai-Fort de Scarpe. Cette technique lui assure la maîtrise des coûts de traitement (moins élevés que l'incinération), des stocks (gestion centralisée sur le site de la station), des nuisances (pas d'odeurs, pas de lixiviats, pas de pollution visuelle), de la qualité (hygiénisation des boues). Le séchage thermique favorise le recyclage agricole tout en autorisant, en cas de nécessité (problème accidentel ou modification réglementaire), une incinération des boues sous la forme de granulés ou de pulvérulents.
Helmut Kroiss - Professeur - Université technologique de Vienne - Autriche
La capitale autrichienne utilise le maximum de potentialités des 75 000 tonnes de matière sèche qu'elle produit annuellement en les co-incinérant avec des déchets toxiques à haute valeur énergétique. La vapeur générée par cette combustion permet de produire l'électricité requise pour le fonctionnement du site, et de préchauffer l'air pour la combustion ainsi que l'eau des chaudières. Le reste de la chaleur est injecté dans le réseau viennois. Les cendres produites (25 000 t/an) sont pour l'instant solidifiées avant un stockage spécifique ; à terme, elles pourraient être une source de phosphate.
Brian Crathorne - Directeur de la stratégie et de la réglementation - Thames Water - Royaume Unis
Gestionnaire de 349 stations de traitement des eaux, Thames Water exploite 34 centres de traitement des boues. La moitié des volumes produits est recyclée dans l'agriculture, 42% des boues sont éliminées par incinération. Comme les autres industriels de l'eau, en Grande Bretagne, Thames Water s'est engagé à respecter la législation conforme aux exigences de la Safe Sludge Matrix (Matrice de boues sans risques) établie en accord avec les différents acteurs de la filière (gouvernement, agriculteurs, industrie agroalimentaire, propriétaires fonciers). Mais la valorisation agricole reste une filière fragile (changement possible de l'opinion publique, ...). Ainsi, Thames Water, afin de réduire sa dépendance envers la valorisation agricole cherche des débouchés alternatifs basés, en autre, sur la valorisation énergétique des boues.
Michel Dutang - Directeur de la recherche et du développement - Veolia Environnement - France
Bien que chaque cas soit spécifique, Véolia Environnement a développé une approche fondée sur une comparaison des performances environnementales et technico-économiques des différentes filières d'élimination ou de valorisation des boues. Cette approche retient l'ordre de priorité suivant :
- privilégier, lorsque c'est possible, le recyclage agricole avec ou sans compostage,
- promouvoir des solutions industrielles du type co-incinération ou mise en centre d'enfouissement technique avec bioréacteur,
- procéder à un séchage des boues en cas d'éloignement des sites d'élimination industrielle ou agricole,
- traiter sur place par l'incinération (production d'énergie) ou l'oxydation par voie humide.
Jean-François Talbot - Président Directeur Général - Société d'Aménagement Urbaine et Rural (SAUR International) - France
Résolument orientée vers le développement durable, la SAUR privilégie la valorisation énergétique des boues - plutôt que leur élimination - et les solutions qui ne participent pas à la production de gaz à effet de serre, en favorisant la thermolyse.
Hervé Labaquère - Ingénieur en chef chargé de la mission boues - Lyonnaise des Eaux - France
Les difficultés des filières usuelles ont conduit la Lyonnaise des Eaux à opter pour des solutions qui répondent aux attentes de tous les citoyens et préservent réellement l'environnement. Les filières d'avenir consisteront à transformer les meilleures boues en produits fertilisants "homologués" de très haute qualité et les boues de moindre intérêt en électricité verte. Dans les deux cas, le séchage thermique représente une étape indispensable pour obtenir un fertilisant ou un combustible sous forme de granulés stables, hygiénisés et faciles à transporter.
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Troisième table ronde :
"Enjeux sanitaires, environnementaux et économiques des
différentes filières d'évacuation des boues"
Le point de vue des intervenants
Martine Tercé,
Chargée de mission sols et réglementation - Mission environnement et société - Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) - France
En 1995, l'INRA a lancé à la demande de la Chambre syndicale des fabricants d'amendements organiques, un ensemble d'études destinées à mieux connaître les impacts environnementaux et agronomiques des produits résiduaires, en particulier les boues issues de l'épuration des eaux usées. Ce programme AGREDE (AGRiculture et Epandage de DEchets urbains et agro-industriels) n'a pas livré de résultats imprévus par rapport aux recherches menées antérieurement. Il a permis de mettre en œuvre une approche environnementale globale et la mise au point ou l'affinement des outils d'évaluation de la valeur fertilisante des déchets organiques. Des progrès méthodologiques d'expérimentation en environnement ont également été réalisés sur le devenir des traces métalliques, les composés traces organiques et les éléments pathogènes. Ces progrès ont débouché sur l'élaboration de méthodes d'analyse en cours de normalisation.
Liliane Elsen,
Administrateur et pilote du pôle industrie, produits services - France Nature Environnement - France
Pour France Nature Environnement, l'épandage reste la meilleure solution, d'autant qu'il ne concerne qu'une très petite partie de la surface agricole du pays. Le sol français est souvent carencé (surtout dans les régions de culture intensive) et les boues de bonne qualité, épandues dans le strict respect des normes, sont un excellent amendement naturel et gratuit pour les exploitants. En revanche, France Nature Environnement reste opposé à l'incinération des boues de STEP sauf pour le cas de très grandes villes. Il s'agit là, de destruction pure et simple de matière organique dont le seul avantage est de s'en débarrasser.
Michel Masson,
Administrateur - Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants (FNASEA) - France
Plus de 50% des boues des stations d'épuration sont aujourd'hui épandues sur des terres à vocation agricole. Ce service rendu à la société doit être reconnu. Les agriculteurs sont sollicités par les collectivités locales. Dans le même temps, l'exacerbation du principe de précaution conduit les intervenants de l'aval (consommateurs, distributeurs et industries agroalimentaires) à limiter progressivement l'utilisation des boues dans les cahiers des charges de production. La FNSEA attend des pouvoirs publics la mise en place d'un fonds national de garantie couvrant les risques non assurables liés à l'épandage sur les terres agricoles et leurs conséquences économiques sur les filières agricoles et agroalimentaires, de dispositions à l'encontre des mesures commerciales discriminatoires pénalisant les produits agricoles issus de parcelles ayant reçu des boues. De plus, la FNSEA défend le principe "zéro franc rendu racine" et incite les agriculteurs à ne pas intervenir directement dans les différentes étapes de l'épandage afin de limiter les risques de contentieux. Le suivi agronomique des épandages doit être strictement respecté et validé par l'administration.
Michèle Legeas,
Professeur - Ecole Nationale de Santé Publique - France
L'état des connaissances sur des effets de l'utilisation des boues sur l'environnement montre que les modifications induites n'ont que peu ou pas d'impacts sur la productivité des sols (à moyen terme) et que l'accumulation des métaux lourds sont comparables à celle imputables à d'autres sources (engrais, retombées atmosphériques). Pour les effet sanitaires, une évaluation des risques a été menée. Il en ressort dans l'état actuel des connaissances :
- les excès de risques, pour la population, aux éléments traces métalliques et composés traces organiques sont inférieures aux seuils d'acceptabilité généralement admis pour les risques environnementaux ;
- les excès de risques imputables au micro organismes sont quasiment impossibles à quantifier.
Il est donc nécessaire d'éclaircir les débats en repositionnant les risques pour l'environnement dans une perspective de développement durable et non pas en s'appuyant sur des craintes sanitaires tout en conservant une obligation de prudence et de prévention.
Alain Caudy,
Membre de la commission environnement de l'UFC- Que Choisir, Président de l'UFC-Que Choisir de Reims - Union Fédérale des Consommateurs Que Choisir - France
La réglementation confère à l'épandage des boues des stations d'épuration sur les terres agricoles une acceptabilité supérieure à celle des engrais chimiques. Cependant face aux incertitudes relatives aux risques sanitaires et aux pollutions des sols, cette pratique impose plusieurs conditions : une politique de réduction des pollutions en amont des stations ; un contrôle strict de la qualité des rejets ; un suivi de la qualité des produits alimentaires et des sols ; la diffusion locale d'informations sur la qualité des boues, des sols, les pratiques d'épandage et les répercussions économiques pour les consommateurs.
Danielle Salomon,
Fondatrice, chercheur associé au Centre de Sociologie des Organisation (CSO) - Risques et intelligence - France
L'évacuation des boues d'épuration urbaine constitue un enjeu très pragmatique pour toutes les collectivités et d'autant plus que leur production augmente. Au croisement des politiques d'assainissement, d'élimination des déchets et de protection de l'environnement, encadrée de près par les directives européennes, la gestion des boues se fait sous fortes contraintes. En outre, les filières sont constitutivement instables.
Dans le cadre d'une chaîne agroalimentaire particulièrement secouée par des crises sanitaires, les boues -devenues un intrant parmi d'autres en amont de cette chaîne- font l'objet de diverses exigences ou soupçons qui sont de nature à remettre en cause la pérennité des filières de valorisation. Or, celles-ci représentent pour les collectivités des investissements qui doivent pouvoir se stabiliser dans le temps. Les boues par l'ampleur des quantités en cause constituent un enjeu de société alors même que leur production et leur évacuation sont des activités locales. La stabilisation du sujet engage donc les acteurs locaux, nationaux et supra-nationaux à coopérer, chacun à leurs niveaux mais également entre eux, vers des objectifs connus et partagés par tous.
Yves Coppin,
Chef de projet " gestion biologique des déchets " - Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME) - France
Quelles qu'elles soient, les différentes filières de gestion des boues d'épuration sous-tendent des enjeux sanitaires, environnementaux, économiques et socioculturels.
Ce qui importe c'est avant tout de s'adapter aux cas de figure locaux : les petites stations d'épuration ne disposent pas des mêmes moyens financiers, voire techniques, ni des mêmes solutions (offres de sites de traitement) que les grandes stations. Ainsi, conserver une palette de solutions de traitement est une priorité absolue au niveau français. De même, les études qui précisent les coûts et les impacts environnementaux des différentes voies de gestion des boues doivent être réalisés au cas par cas en tenant compte des situations locales. Il est nécessaire de chercher à valoriser les boues, qu'il s'agisse de valorisation matière (épandage) ou énergétique (digestion anaérobie/incinération avec récupération de chaleur/électricité ou " méthanisation ".
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