Comment contrôler
le développement excessif des algues planctoniques dû à
la pollution des eaux par excès de phosphates ou de nitrates ?
S'ils ne veulent pas avoir recours à la méthode empirique,
plus ou moins hasardeuse, les scientifiques ont besoin de modèles
leur permettant de modéliser le fonctionnement des écosystèmes
et de prédire les effets de l'enrichissement nutritif du milieu.
Jusqu'à présent, les modèles mathématiques
utilisés considéraient les écosystèmes comme
une chaîne linéaire de niveaux trophiques homogènes
: les producteurs primaires, les herbivores et les carnivores. Or de tels
modèles ne permettent pas de faire de bonnes prédictions.
Le modèle théorique publié dans la revue Nature
du 18 mai 2000 par une équipe du laboratoire "Fonctionnement
et évolution des systèmes écologiques" (CNRS
- Université Paris 6 - Ecole normale supérieure)*
introduit dans chaque niveau trophique une répartition des espèces
selon leur taille et leur régime alimentaire. Ce modèle
a permis une bonne prédiction des résultats obtenus sur
le site expérimental du lac de Créteil et met l'accent sur
le rôle fonctionnel de la biodiversité.
Jusqu'à présent,
les écosystèmes étaient souvent considérés
comme une succession - une chaîne - de niveaux trophiques homogènes
: les producteurs primaires, les herbivores et les carnivores. Toutefois,
ce modèle linéaire ne permet généralement
pas de prédire correctement le fonctionnement des écosystèmes.
Des chercheurs du laboratoire "Fonctionnement et évolution
des systèmes écologiques" ont élaboré
un modèle en réseau en introduisant un à trois groupes
fonctionnels par niveau trophique, et ils ont confrontés les prédictions
permises par ce modèle aux résultats obtenus dans le site
expérimental du lac de Créteil (Val de Marne). Les groupes
fonctionnels rassemblent, selon leur régime alimentaire et leur
vulnérabilité à la prédation, les espèces
présentes dans le dispositif expérimental. Un tel modèle
théorique est dit de complexité intermédiaire car,
bien qu'il ne décrive pas chacune des espèces présentes,
ce qui conduirait à un modèle beaucoup trop complexe pour
être exploité, il tient compte de leur diversité fonctionnelle.
L'expérience
a consisté à manipuler sur place les apports en nutriments
(azote et phosphore) dans des enceintes remplies de l'eau du lac et contenant
du plancton et, pour certaines d'entre elles, des juvéniles de
poissons. Alors que la comparaison des résultats expérimentaux
aux prédictions du modèle classique linéaire fait
ressortir de nombreuses discordances, leur confrontation aux prédictions
du modèle de complexité intermédiaire montre une
bonne adéquation entre résultats expérimentaux et
prédictions théoriques. Ce modèle fait ainsi apparaître
le rôle fonctionnel des groupes d'espèces, rendant ainsi
intelligible le fonctionnement et la dynamique de la communauté
d'espèces. Il apporte des informations sur les processus intervenant
dans la réponse des groupes fonctionnels suite à l'enrichissement
en nutriments.
Ces résultats
ouvrent de nouvelles perspectives quant à la réhabilitation
par modification de la structure des réseaux trophiques (biomanipulation)
des eaux eutrophes, c'est-à-dire saturées en nutriments.
Les actions tentées jusqu'à présent se basaient globalement
sur les prédictions du modèle de chaîne trophique
linéaire. Par exemple, l'ajout de poissons piscivores dans un milieu
qui en est dépourvu était censé avoir pour conséquences
d'augmenter le nombre de niveaux trophiques et, par effets en cascade
le long de la chaîne trophique, de contrôler le développement
excessif des algues planctoniques. Or, les résultats de ces biomanipulations
sont mitigés, ce qui est bien compréhensible à la
lumière du modèle de complexité intermédiaire.
La manipulation du nombre de niveaux trophiques par ajout ou suppression
de poissons ne suffit pas pour contrôler les effets néfastes
de la pollution des eaux par excès de phosphates ou de nitrates.
De nouvelles approches tenant compte de la diversité fonctionnelle
devraient par la suite être explorées.
Le
modèle de chaîne alimentaire classique prédit
que l'augmentation des apports en nutriments bénéficie
au niveau trophique le plus élevé et à ceux
situés à un nombre de niveaux pairs en dessous de
celui-ci. Par exemple, dans une chaîne linéaire à
3 niveaux, les carnivores accumulent les excédents d'énergie
qui ont transité par les niveaux inférieurs. Les herbivores,
contrôlés par les carnivores, ne bénéficient
pas de l'enrichissement en nutriments. En revanche, les producteurs
primaires, soulagés du contrôle par les herbivores,
car eux-mêmes limités par les carnivores, profitent
de l'augmentation de leurs ressources.
Le modèle réseau de complexité intermédiaire
rompt avec ce schéma en considérant trois groupes
de producteurs primaires : les algues planctoniques très
comestibles, les algues planctoniques peu comestibles et le périphyton,
non consommé par les espèces pélagiques mais
autorégulé. Le second niveau trophique est divisé
en petits et grands herbivores consommant respectivement les algues
très comestibles ou les deux types d'algues. Le troisième
niveau trophique est représenté par les carnivores
invertébrés se nourrissant de petits herbivores et,
s'ils sont présents, les poissons zooplanctonophages consommant
les deux types d'herbivores et les carnivores invertébrés.
Les prédictions sur les effets sur chaque groupe trophique
de l'enrichissement en nutriments du milieu deviennent plus complexes
et correspondent mieux à la réalité expérimentale
où chaque niveau trophique ne réagit pas uniformément.
|
*
Florence Hulot, Gérard Lacroix, Françoise Lescher-Moutoué
et Michel Loreau, laboratoire Fonctionnement et évolution des systèmes
écologiques, CNRS-Université Paris VI-Ecole normale supérieure)
Référence
Hulot, F. D., Lacroix, G., Lescher-Moutoué, F. et Loreau M. (2000).
Functional diversity governs ecosystem response to nutrient enrichment.
Nature, 18 mai 2000.
Contact
chercheur :
Michel Loreau - Tél : 01 44 32 37 09 ou 01 44 32 36 96 - Fax :
01 44 32 38 85
Gérard Lacroix - Tél : 01 44 32 36 99 - Fax : 01 44 32 38
85
Laboratoire "Fonctionnement et évolution des systèmes
écologiques"
CNRS - Université Paris VI - Ecole Normale Supérieure -
Paris
Contact département
des sciences de la vie :
Thierry Pilorge - Tél : 01 44 96 40 26 - Fax : 01 44 96 49 19
Contact presse :
Martine Hasler - Tél 01 44 96 46 35 - Fax : 01 44 96 49 93