Constats
1. Contexte général
Nous pouvons tout d’abord partir d’un constat simple et généralement admis : la société
produit de plus en plus de boues. Chaque année, le tonnage de matière issue des stations
d’épuration augmente et pose des problèmes dans de nombreuses collectivités.
Il est évident que les boues domestiques issues des stations d’épuration souffrent d’une
image très négative auprès du grand public. Cette image négative provient certainement des
nuisances olfactives observées depuis longtemps et des critiques récurrentes au sujet de la
dégradation, voire de la contamination des sols qu’elles pourraient entraîner.
Deux éléments majeurs ont toutefois contribué à une nette détérioration de cette image. Il
s’agit d’abord de la transformation du statut des boues qui, de produits sont devenues
déchets. Il s’agit en second lieu de la crise de la vache folle qui a constitué un véritable
séisme dans le monde de l’agriculture et a inquiété l’opinion sur les conséquences, en terme
de santé publique, de certaines pratiques en agriculture. Les boues domestiques souffrent
donc de quelques contentieux qui leur sont directement attachés, mais souffrent aussi d’un
amalgame dans l’opinion publique lié à des crises sanitaires indépendantes du problème des
boues stricto sensu.
C’est donc un climat de suspicion qui prévaut aujourd’hui. La remise en cause de
l’épandage à laquelle on assiste actuellement s’explique donc assez facilement. Elle se
traduit, toujours en terme d’image, par des revendications de la part des agriculteurs qui
souhaitent que cette pratique soit menée dans les meilleures conditions sanitaires possibles
et par l’adoption chez certains industriels de l’agroalimentaire ou certains distributeurs de
cahiers des charges excluant les boues d’épandage comme fertilisant.
Cette mauvaise image se double d’un problème manifeste d’information et de
sensibilisation du grand public. En effet, le problème de la gestion des boues domestiques
est complètement ignoré de l’opinion. La population ne connaît même pas en général
l’existence de ces boues. Tout semble se passer comme si la société produisait des déchets
sans se préoccuper de leur devenir.
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2. La réglementation
Actuellement, 60 % des boues domestiques sont épandues sur les terres agricoles. Il
convient de préciser d’emblée que cela ne concerne qu’une infime partie du territoire
agricole français.
Cette pratique est très ancienne et est de plus en plus encadrée. La réglementation est
devenue très importante et concerne tous les aspects de l’évacuation des boues par
l’épandage agricole. D’un point de vue environnemental et sanitaire, de nombreux seuils ont
été établis et sont censés garantir l’innocuité des boues épandues et des produits récoltés sur
les terres ainsi fertilisées. Par ailleurs, nous pouvons noter que la réglementation française
est plus contraignante que la réglementation européenne.
Nous pouvons souligner quelques problèmes majeurs quant à la nature et surtout à
l’application de cette abondante réglementation :
- Il semblerait en premier lieu que la réglementation laisse une large place à l’auto
contrôle plus qu’à des contrôles externes et inopinés ;
- Cela tient à un manque évident de personnel pour réaliser ces contrôles ; la
réglementation semble évoluer et augmenter en volume beaucoup plus rapidement
que les moyens de vérification de sa correcte application ;
- La réglementation, de l’aveu même des agriculteurs, n’est pas toujours respectée
puisque les contrôles ne sont pas toujours réalisés en amont des opérations
d’épandage, mais parfois quelques mois après celles-ci.
Il est important de noter que la réglementation est toujours en mouvement et qu’elle n’est
valable que pour un état donné des connaissances scientifiques. Celle-ci est donc encore
appelée à évoluer, d’autant plus que des programmes de recherche sur les risques sanitaires
et environnementaux ainsi que sur les filières alternatives à celles existant aujourd’hui sont
en cours.
Enfin, il apparaît que la problématique de la communication et de l’information autour des
boues domestiques ne peut être dissociée de celle de la réglementation. En effet, plus cette
dernière est abondante et précise, plus elle risque de susciter méfiance et interrogation dans
l’opinion publique.
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3. Différentes filières de gestion des boues
Il existe aujourd’hui trois principales filières d’évacuation des boues domestiques issues des
stations d’épuration :
- La valorisation agricole, avec toutes ses modalités techniques d’application ; les
boues peuvent notamment être hygiénisées, séchées ou compostées ; toutes ces
techniques de valorisation des boues ont un coût qu’il convient de prendre en compte
dans l’évaluation comparée des différentes filières
- L’incinération qui peut être faite en association avec d’autres déchets (coincinération)
ou qui peut être faite seule
- Le stockage et la décharge
Chacune de ces filières présentent des avantages et des inconvénients. Il est nécessaire de
prendre en compte l’ensemble des paramètres sanitaires, environnementaux et financiers.
Lorsqu’on réfléchit à l’évaluation de ces différentes filières, il faut comprendre que les
contraintes locales sont absolument primordiales. Les acteurs concernés par les projets
locaux de gestion des boues domestiques étant toujours nombreux, les impacts sanitaires,
environnementaux et financiers étant toujours difficiles à mesurer, il faut faire preuve d’un
grand pragmatisme dans le jugement. Pour ces raisons, la décision politique est toujours
extrêmement difficile à prendre.
La question des coûts est quant à elle particulièrement complexe. Si l’épandage agricole
apparaît comme la filière la plus économique, il faut prendre en compte l’ensemble des
coûts liés à l’éventuelle valorisation des déchets avant épandage, aux coûts des contrôles, à
ceux du transport, etc.
Ces coûts ayant une grande incidence sur la facture d’eau du consommateur, il est
nécessaire de faire preuve d’une grande prudence dans le choix des filières et donc,
rappelons-le, de s’adapter à la situation locale.
Toutefois, des efforts indispensables à la protection de l’environnement semblent
inévitables. L’investissement sera nécessaire dans bien des communes. L’environnement a
un prix que le consommateur et la collectivité doivent assumer.
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Recommandations
Avertissement :
Le problème de l’évacuation des boues domestiques issues des stations d’épuration est
nécessairement un problème politique, qui doit faire l’objet d’une décision publique. En
effet, seule cette dernière saura faire primer l’intérêt public et le défendre face à de
nombreux intérêts privés très impliqués dans ce dossier.
Les enjeux, les acteurs, et les questions en suspens sont nombreux. Il convient donc de
rester particulièrement prudent dans la prise de décision, afin notamment de ne pas
bouleverser un système complexe et fragile en prenant une décision autoritaire et fondée sur
une vision simplifiée de la réalité.
Les recommandations que nous établissons sont inscrites dans une perspective de long
terme, tant au niveau des techniques que des questions de communication, ce qui est une
condition absolument indispensable à leur applicabilité.
En particulier, les questions financières et l’impact des décisions sur le coût de l’eau doivent
constituer une préoccupation permanente. Nos recommandations imposent des moyens
humains et techniques ayant un coût dont il faut tenir compte dans la décision publique.
1. Organiser une grande campagne de communication et de sensibilisation autour de la
gestion des boues afin de faire prendre conscience à la population de la
problématique des déchets issus du traitement de l’eau.
2. Développer la prévention parce qu’elle constitue un excellent moyen sur le long
terme de réduire ou en tous cas de restreindre la nocivité des boues.
3. Renforcer en particulier les campagnes de prévention au sein du système éducatif.
4. Renforcer au niveau local l’information sur les techniques d’évacuation des boues
choisies par la collectivité ; faire preuve de la plus grande transparence sur ces choix
et notamment bien informer la population sur les plans d’épandage et les techniques
utilisées.
5. Demander à l’industrie agroalimentaire et aux distributeurs de clarifier à destination
des professionnels et du grand public, une fois pour toute leur position au sujet des
produits cultivés sur des terres ayant subi un épandage.
6. Développer les campagnes d’information auprès du grand public afin de renforcer
l’acceptabilité des plans d’épandage ou des installations d’élimination des boues.
7. Dans l’état actuel des connaissances, on ne peut privilégier un mode d’évacuation
plutôt qu’un autre. Tout dépend des situations locales (géographie, acteurs,
installations, contraintes financières, etc.). Toutefois, à long terme, il convient de
développer un épandage hygiénisé (en intégrant les techniques de séchage, chaulage
ou compostage) quand cela est possible, afin de faire des boues d’épandage les plus
fertilisantes, les plus efficaces et acceptables possibles, tout en privilégiant dans les
grandes agglomérations le recours à l’incinération.
8. L’incinération est en effet une filière incontournable, notamment parce que les
grandes villes doivent prendre en charge la plus grande partie des boues qu’elles
produisent ; la solution de la co-incinération, parce qu’elle entraîne moins
d’investissements, semble intéressante.
9. Renforcer les contrôles inopinés sur l’innocuité des émanations des stations
d’incinération.
10. Valoriser au maximum les résidus des incinérateurs.
11. Favoriser la recherche sur les nouvelles techniques permettant de produire moins de
boues, et de les traiter de façon à ce qu’elles soient les moins dangereuses et risquées
possibles.
12. Quelque soit le lieu, il faut développer l’incinération et l’enfouissement sécurisé pour
les cas de crise où l’épandage n’est pas possible.
13. Au niveau des stations d’épuration, il faut plus de capacité de stockage afin de faire
face aux situations où l’épandage est impossible.
14. Il faut davantage de contrôles externes et avant l’épandage sur les boues issues des
stations d’épuration.
15. Renforcer et former les moyens humains pour contrôler les boues avant l’épandage et
lors de l’épandage.
16. Favoriser le labour (enfouissement des boues sur les sols) lorsqu’il y a épandage
pour éviter les odeurs (même si cela implique une réduction des surfaces sur
lesquelles on peut épandre).
17. Limiter les délais entre « livraison » des boues et épandage.
18. Respecter les délais entre l’épandage et le labour.
En conclusion, nous considérons donc que dans l’état actuel des connaissances, on ne peut
privilégier un mode d’évacuation plutôt qu’un autre. Les situations locales doivent être
prises en compte avant tout. Toutefois, à long terme, il convient de développer un épandage
hygiénisé quand cela est possible, afin de faire des boues d’épandage les plus fertilisantes,
les plus efficaces et acceptables possibles. Parallèlement, il faudra privilégier dans les
grandes agglomérations le recours à l’incinération. Nous considérons également que
l’information et la communication auprès des citoyens doivent être un axe primordial de
l’action publique à l’avenir afin qu’ils soient sensibilisés et qu’aucune filière ne soit écartée
par la rumeur ou le manque d’information. On ne peut aujourd’hui faire l’économie d’une
information auprès du grand public.
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