Commentaires d'introduction au comité sénatorial permanent des pêches
Le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent
(Chapitre 1 - Rapport de 2001 de la commissaire à l'environnement
et au développement durable)
Le 19 février 2002
Johanne Gélinas
Commissaire à l'environnement et au développement durable
Je vous remercie, Monsieur le Président, de me donner la possibilité de comparaître devant le Comité. Je suis accompagnée, ce soir, de mes collègues John Reed et Gordon Stock.
Je vous donnerai, aujourd'hui, un bref aperçu de mon rapport de 2001. Je me concentrerai sur le chapitre 1, Le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent, et notamment, sur les sections se rapportant aux pêches.
Tout d'abord, j'aimerais décrire brièvement le rôle et le mandat du commissaire à l'environnement et au développement durable. Le poste de commissaire a été créé en 1995 par le biais de modifications apportées à la Loi sur le vérificateur général. Mon groupe est tenu, en vertu de son mandat législatif, de vérifier le rendement du gouvernement fédéral en ce qui a trait à la gestion des questions liées à la protection de l'environnement et au développement durable. Nos vérifications récentes ont porté sur des sujets tels que la protection de la couche d'ozone, le changement climatique, les substances toxiques et les déchets dangereux. Nous faisons partie du Bureau du vérificateur général et travaillons souvent ensemble à des projets de vérification.
Les modifications apportées à la Loi ont obligé tous les ministères fédéraux à produire un plan d'action en vue d'atteindre les objectifs qu'ils se sont fixés en matière de développement durable, soit une stratégie de développement durable. Mon bureau a le mandat de faire le suivi des engagements pris par les ministères dans leur stratégie et d'en faire rapport.
La Loi prévoit également un processus de pétition. Les Canadiens peuvent ainsi adresser des pétitions au gouvernement par mon intermédiaire, afin d'obtenir des réponses à leurs questions en matière d'environnement. Une pétition peut prendre la forme d'une simple lettre. Mon bureau surveille le processus et assure le suivi des réponses fournies par les ministres. Le chapitre 7 de mon rapport décrit le processus et résume l'état d'avancement des pétitions, dont plusieurs ont été transmises à Pêches et Océans Canada.
Dans le chapitre 1, nous avons vérifié la façon dont le gouvernement fédéral traite les questions environnementales dans le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent pour deux raisons importantes :
- le bassin, qui contient 20 p. 100 de l'eau douce de la planète (Waternunc.com met ce point en avant), est une ressource environnementale cruciale pour le monde entier;
- seize millions de Canadiens dépendent de ses ressources pour l'air pur et l'eau potable, la santé, l'emploi et les activités récréatives.
Quatre domaines d'intérêt ont retenu notre attention : l'eau, l'agriculture, les espèces et les espaces en péril, et les pêches. Nous voulions alors savoir si le gouvernement respectait ses engagements, s'il appliquait de saines pratiques de gestion pour les problèmes examinés et s'il avait en place des structures de gouvernance satisfaisantes dans l'ensemble. Cette vérification portait sur les activités de plusieurs ministères fédéraux.
Même si nous avons ciblé le bassin, bon nombre des questions et des programmes fédéraux que nous avons examinés ont une portée nationale, et nos constatations peuvent avoir des répercussions à l'échelle du pays entier. Bien que notre mandat se limite aux activités du gouvernement fédéral, la saine gestion de la durabilité du bassin repose sur de nombreuses autres parties. C'est un domaine de compétence partagée. Les provinces ont un rôle déterminant à jouer, tout comme d'autres paliers de gouvernement, l'industrie, les associations reliées aux pêches, les scientifiques et la population.
Alors, qu'avons-nous constaté?
Nous avons noté des succès et des améliorations remarquables en ce qui touche l'environnement dans le bassin au cours des trois dernières décennies. La vérification précise le rôle joué à cet égard par les fonctionnaires fédéraux.
Pourtant, selon les données scientifiques les plus probantes à l'heure actuelle, même si certains aspects de l'environnement du bassin s'améliorent, d'autres se détériorent au moment où l'on se parle. Au cours de la prochaine génération, la population canadienne des environs du bassin devrait augmenter de trois millions de personnes et son produit intérieur brut, de 60 p. 100 par rapport à ce qu'il est aujourd'hui.
Cette croissance de la population exercera d'autres fortes pressions sur l'écosystème déjà fragile. L'écosystème aquatique est particulièrement vulnérable aux menaces telles que les pesticides et les produits chimiques toxiques provenant des eaux de ruissellement des terres agricoles, les eaux usées non traitées, la destruction des habitats du poisson et l'introduction d'espèces aquatiques envahissantes.
Cela m'amène à ma principale préoccupation. Je crois que l'avenir du bassin est menacé. Les efforts déployés par le gouvernement fédéral ont perdu leur dynamisme. Le leadership, l'innovation, l'activité scientifique et la diligence, qui ont eu une incidence favorable sur le bassin dans le passé, marquent un recul. Nous constatons un sentiment de complaisance et non d'urgence, de la résignation et non de l'inspiration.
Nos conclusions générales mettent en lumière quatre grands thèmes :
- Premièrement, des enjeux et des problèmes importants sont négligés, et des engagements internationaux ne sont pas respectés, en partie parce que le financement accordé aux ministères a diminué. Par exemple, en 1994, le ministre de l'Environnement avait annoncé l'octroi de 125 millions de dollars en fonds nouveaux pour appuyer le Plan d'action des Grands Lacs; toutefois, les ministères ont reçu moins de 12 p. 100 de cette somme. Il n'y a pas d'arrimage entre les engagements pris par le gouvernement et les ressources qu'il a affectées à cette fin.
- Deuxièmement, il n'y a pas de stratégie à long terme pour l'ensemble du bassin afin de contrer les principales menaces. Aucun organe fédéral n'énonce un point de vue concerté et cohérent sur les enjeux clés qui concernent les régions des Grands Lacs et du Saint-Laurent.
- Troisièmement, les systèmes de mesure et de surveillance ainsi que la recherche scientifique sont inefficaces. L'information nécessaire pour prendre des décisions éclairées dans des secteurs tels que les milieux humides, les sols et l'habitat du poisson présente de graves lacunes.
- Quatrièmement, le rôle du gouvernement fédéral évolue et se fait plus discret. Le gouvernement ne se sert pas des pouvoirs et outils dont il dispose pour s'attaquer aux problèmes difficiles. Il s'en remet, de plus en plus, aux partenariats pour atteindre ses objectifs. Notre vérification a soulevé des questions fondamentales sur le rôle du gouvernement pour ce qui est de surveiller les interventions de ses partenaires et de veiller réellement à ce que les objectifs fédéraux et nationaux soient atteints.
J'aimerais maintenant parler des sections de notre chapitre portant sur les pêches dans le bassin. Nous avons examiné quatre différents aspects : le rôle de conservation et de protection du gouvernement fédéral, l'information scientifique, les espèces aquatiques envahissantes et l'habitat du poisson.
Le message prédominant est que le gouvernement fédéral n'a pas défini ce que devrait être son rôle pour sauvegarder et protéger le poisson en eau douce, y compris celui du bassin. Il n'a pas de vision, il n'a pas déterminé son rôle par rapport à celui des provinces et il a tenté de déléguer ses responsabilités aux autres.
Le deuxième message d'importance, pour ce qui est du bassin, concerne les problèmes au niveau des programmes et de l'expertise scientifiques de Pêches et Océans. Au début des années 1990, les niveaux de financement fédéral des activités de recherche scientifique menées en Ontario étaient instables. Depuis la situation dans la province s'est détériorée. Au Québec, le Ministère n'a effectué presque aucun travail de recherche en eaux douces.
Le Ministère a cerné les lacunes de ses activités scientifiques, mais il n'a pas de plan pour les combler. Plus grave encore, le Ministère perd son expertise scientifique dans les Grands Lacs puisque 54 p. 100 de ses scientifiques qui y travaillent devraient prendre leur retraite au cours des quatre prochaines années. Comme il n'a pas défini son rôle, le Ministère ne sait pas ce qu'il lui faut sur le plan scientifique.
Le troisième message concerne le fait que le Ministère ne prend aucune mesure pour faire face à la menace grave et grandissante qui pèse sur les pêches, soit les espèces aquatiques envahissantes. Depuis les années 1800, au moins 160 espèces, comme la lamproie marine et la moule zébrée, ont envahi le bassin. En théorie, le gouvernement fédéral a pris un engagement ferme afin de prévenir la propagation des espèces envahissantes. Dans les faits, les résultats se font attendre.
Le Ministère a participé à un programme efficace de lutte contre la lamproie marine par l'intermédiaire de la Commission des pêcheries des Grands Lacs, mais il s'agit là d'une exception. Le gouvernement fédéral n'a pas de politique, ni de cadre, ni d'approche structurée pour contrôler les espèces aquatiques envahissantes ou pour empêcher l'introduction de nouvelles espèces dans le bassin.
La principale menace provient des navires commerciaux qui entrent dans le bassin et qui peuvent transporter de nouvelles espèces dans leur eau de ballast. Le Canada a établi des lignes directrices facultatives en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, mais celles-ci sont loin d'être efficaces.
Cette année, nous poursuivons nos travaux sur les espèces aquatiques envahissantes. Nous collaborons avec le Government Accounting Office (GAO) des États-Unis et comptons publier nos rapports distincts en octobre 2002.
Finalement, j'aimerais parler de la protection de l'habitat du poisson. Bien que Pêches et Océans ait depuis 15 ans une politique de gestion de l'habitat du poisson, celle-ci n'a pas été mise en application de façon complète. En 1995, le gouvernement fédéral a tenté de déléguer officiellement aux gouvernements des provinces des Prairies, de l'Ontario et du Québec la gestion de l'habitat du poisson en eau douce sur leur territoire. Cette tentative n'a pas fonctionné, et l'Ontario a mis fin à son entente sur la gestion de l'habitat du poisson. Le Québec, pour sa part, alléguait que ses mesures législatives et ses programmes protégeaient déjà l'habitat du poisson. C'est ainsi qu'en 1999, Pêches et Océans a repris ses responsabilités à l'échelle nationale en matière de gestion de l'habitat du poisson en eau douce.
Depuis lors, le Ministère a cherché tant bien que mal à renforcer son programme en Ontario. Il reconnaît que le programme doit être amélioré. En 1999, il a reçu 28 millions de dollars pour renforcer son programme national de gestion de l'habitat du poisson en eau douce. Toutefois, ce programme ne vise pas à produire le même niveau de surveillance et d'application des règlements au Québec qu'en Ontario.
Un autre problème, c'est que le Ministère a peu d'information sur l'état de l'habitat du poisson dans le bassin. Il ne sait pas si l'habitat du poisson connaît des pertes ou des gains.
En conclusion, Monsieur le Président, notre vérification montre clairement que l'avenir du bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent est vivement menacé. La voie empruntée par le gouvernement fédéral dans le bassin n'est pas soutenable.
Monsieur le Président, nous vous remercions, ainsi que les membres du Comité. Nous serons heureux de répondre à vos questions et de poursuivre cette discussion.