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Communiqué de presse, 9 août 1999 (mise en ligne waternunc.com mars 2000)

LES VINGT ENNEMIS D'INTERNET

Quarante-cinq pays contrôlent l'accès à Internet - la plupart du temps à travers un fournisseur d'accès unique - dont vingt peuvent être qualifiés de véritables ennemis de ce nouveau média. Sous couvert de protéger le public "d'idées subversives" ou "de garantir la sécurité ou l'unité du pays", certains de ces régimes interdisent totalement à leurs citoyens l'accès à Internet. D'autres gouvernements contrôlent le ou les fournisseurs d'accès, ont mis en place des filtres qui bloquent les sites jugés indésirables ou obligent tout utilisateur à s'enregistrer auprès de l'administration.

Pour les régimes autoritaires, Internet pose un double problème : d'une part, il permet à tout citoyen de profiter d'une liberté de parole jamais atteinte dans ces pays et constitue donc une menace. D'autre part, Internet est un facteur de croissance économique grâce notamment au commerce électronique et aux échanges d'informations techniques et scientifiques, ce qui conduit certains de ces régimes à soutenir son développement. C'est apparemment cette dernière option qui semble l'emporter, en Malaisie et à Singapour par exemple, où le contrôle des sites jugés "dangereux" s'avère difficile pour les autorités. De plus, les internautes trouvent des parades à la censure : cryptologie, "serveur d'anonymat" (qui sert de relais pour consulter des sites interdits ou échanger des e-mails), connexion par des lignes internationales, cellulaires ou satellitaires, etc.

Reporters sans frontières a sélectionné vingt pays ennemis d'Internet, parce qu'ils en contrôlent totalement ou partiellement l'accès, ont censuré des sites ou se sont attaqués à des internautes. Ces pays sont : l'Arabie saoudite, des pays d'Asie centrale et du Caucase (Azerbaïdjan, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan), la Biélorussie, la Birmanie, la Chine, la Corée du Nord, Cuba, l'Irak, l'Iran, la Libye, la Sierra Leone, le Soudan, la Syrie, la Tunisie et le Viêt-nam.

Arabie saoudite
Bien que trente-sept sociétés privées aient été autorisées à proposer au public des connexions à Internet, tout le trafic transite par les serveurs de la Cité des sciences et de la technologie (organisme public), équipés d'un système de filtres, les fameux "firewalls", qui interdisent l'accès aux sites proposant "des informations contraires aux valeurs islamiques". Internet est considéré comme un "vecteur nocif de l'occidentalisation des esprits".

Asie centrale et Caucase
Dans la plupart de ces pays, les autorités contrôlent ou limitent l'accès à Internet. Au Tadjikistan, un seul opérateur, Telecom Technologies, détenu par le gouvernement, fournit un accès à la Toile dans la seule ville de Douchanbé. Le Turkménistan, véritable "trou noir" de l'information, offre un accès encore plus restreint aux utilisateurs d'Internet. Malgré l'existence d'opérateurs privés en Ouzbékistan et en Azerbaïdjan, leur activité est régulée par le ministère des Télécommunications, chargé de sanctionner les voix critiques dans le pays. Au Kazakhstan, et dans une moindre mesure au Kirghizistan, les autorités imposent aux opérateurs privés des frais d'utilisation et de connexion prohibitifs.

Biélorussie
A l'instar de son attitude répressive à l'égard des autres médias, le régime d'Alexandre Loukachenko ne laisse aucun espace de liberté sur le réseau Internet dont l'accès est fourni par un seul opérateur, Belpak, qui appartient à l'Etat.

Birmanie
La censure, grâce au monopole de l'Etat sur la fourniture d'accès, est totale. De plus, la loi sur l'informatique de septembre 1996 oblige tout possesseur d'un ordinateur à le déclarer à l'administration. Dans le cas contraire, l'utilisateur risque jusqu'à quinze ans de prison.

Chine
Malgré un développement important d'Internet, les autorités tentent de maintenir la pression sur les internautes, objets d'une surveillance étroite : les utilisateurs du réseau doivent se faire obligatoirement enregistrer. En janvier 1999, à Shanghaï, l'informaticien Lin Hai a été condamné à deux ans de prison pour avoir fourni les adresses e-mail de 30 000 internautes chinois à un site dissident qui publie un magazine en ligne à partir des Etats-Unis. Par ailleurs, alors que les autorités craignaient des troubles à l'approche du dixième anniversaire du massacre de Tiananmen, le 4 mai 1999, celles-ci ont ordonné la fermeture de trois cents cyber-cafés à Shanghaï, sous prétexte qu'ils ne détenaient pas les autorisations requises.
Afin de verrouiller l'accès des Chinois aux informations qui circulent sur la Toile, les autorités bloquent certains sites, comme ce fut le cas pour celui de la BBC en octobre 1998. Zhang Weiguo, rédacteur en chef du site en chinois New Century Net (www.ncn.org), fondé aux Etats-Unis en 1996, estime qu'il faut en moyenne deux mois pour que les autorités chinoises repèrent le serveur-relais et le bloquent. Ces sites changent alors d'adresse. Certaines pages censurées circulent par courrier électronique, à l'instar des journaux clandestins photocopiés ou ronéotypés qui sont distribués "sous le manteau".

Corée du Nord
Pyongyang ne dispose d'aucun accès à Internet. Le régime exclut délibérément sa population de l'information autre que sa propre propagande. Les quelques sites officiels à destination de l'étranger (agence de presse, journaux et ministères) sont hébergés par des serveurs situés au Japon.

Cuba
Le pouvoir contrôle Internet comme les autres médias. Aucune expression libre ne circule à partir du réseau national. Une dizaine d'agences de presse indépendantes et illégales (Cubanet ou Cuba Free Press par exemple) diffusent leurs informations par téléphone à des organisations installées à Miami, qui les publient ensuite sur leurs pages web. Mais ces articles ainsi diffusés n'échappent pas à la répression : en octobre 1998, un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères a porté plainte pour "injures" contre Mario Viera, de l'agence indépendante Cuba Verdad, suite à la publication sur le site de Cubanet, basé aux Etats-Unis, d'un article le critiquant. Le journaliste est toujours en attente de jugement ; il risque dix-huit mois de prison.

Irak
Bagdad ne dispose d'aucun accès direct à Internet. Les sites des journaux officiels et de certains ministères sont hébergés par des serveurs basés en Jordanie. En raison de l'embargo, le taux d'équipement en matériel informatique est quasiment nul.

Iran
La censure d'Internet est identique à celle qui frappe les autres médias et concerne les mêmes sujets : sexualité, religion, critique de la République islamique, Israël, Etats-Unis, etc. En raison de filtres posés par les autorités, l'accès à certains sites est interdit : des étudiants en médecine n'ont pu avoir accès à des pages Web traitant d'anatomie...

Libye
Le pays n'est pas connecté au réseau mondial. Le régime maintient sciemment la population hors des circuits internationaux de l'information, dans le but de conserver son emprise sur les esprits.

Sierra Leone
Dans le contexte d'une répression visant la presse critique, les autorités se sont également attaquées à un journal en ligne : en juin 1999, deux journalistes du quotidien The Independent Observer, Abdul Rhaman Swaray et Jonathan Leigh, ont été arrêtés. Il leur était notamment reproché de collaborer avec le cyber-journal des "Ninjas", publié à partir d'un site basé à l'étranger (www.sierra-leone.cc) par des journalistes entrés en clandestinité.

Soudan
A travers Sudanet, l'unique fournisseur d'accès public, l'Etat contrôle les connexions au réseau qui reste sous-développé dans un pays où la liberté d'expression est régulièrement réprimée.

Syrie
L'accès au réseau est officiellement interdit aux particuliers. Toute infraction est passible de peines de prison, comme tout contact "non autorisé" avec l'étranger. Seules les institutions officielles peuvent accéder à Internet via l'Etablissement public des télécommunications. Cet unique fournisseur d'accès héberge les sites de journaux officiels, de l'agence de presse et de quelques ministères.

Tunisie
L'Agence tunisienne Internet (ATI) exerce une tutelle sur les deux fournisseurs d'accès privés, qui sont en réalité liés au pouvoir, l'un étant dirigé par la fille du président Ben Ali et le second par un autre proche du pouvoir. Leurs serveurs centraux contrôlent les connexions de certains internautes. En novembre 1998, après la publication par Amnesty International d'un rapport sur les atteintes aux droits de l'homme, un site Internet, dont l'adresse (www.amnesty-tunisia.org) joue de la confusion avec le nom de l'organisation non gouvernementale, vante l'action du président Ben Ali en faveur des droits de l'homme. L'auteur de ce site, directeur d'un cabinet de relations publiques, dont le pouvoir tunisien est l'un des principaux clients, se défend d'avoir pris la défense de Tunis. L'accès au site d'Amnesty International est bloqué sur le territoire tunisien.

Viêt-nam
Tout internaute est obligé de demander une autorisation au ministère de l'Intérieur et de s'abonner auprès d'un des deux fournisseurs d'accès publics. Les sites des associations vietnamiennes basées à l'étranger ou des organisations internationales de défense des droits de l'homme sont bloqués. Le 9 juin 1999, le ministère de l'Intérieur a ordonné la suspension de la connexion du journaliste Nguyen Dan Que, un ancien prisonnier d'opinion, après qu'il eut diffusé un communiqué par Internet un mois plus tôt.

Recommandations

Reporters sans frontières demande instamment aux autorités de ces vingt pays :

  • d'abolir le monopole de l'Etat sur la fourniture d'accès au réseau ou, le cas échéant, de ne plus contrôler les prestataires privés,
  • d'annuler toute obligation d'enregistrement préalable des internautes auprès de l'administration,
  • de supprimer toute censure par le moyen de filtres, ainsi que le blocage de certains sites hébergés par des serveurs étrangers,
  • de protéger la confidentialité des échanges privés sur Internet, notamment en cessant de contrôler le courrier électronique,
  • d'interrompre toute poursuite pénale engagée à l'encontre d'utilisateurs du réseau qui n'ont fait qu'exercer leur droit à une expression libre.

Reporters sans frontières demande à l'Arabie saoudite, la Birmanie, la Chine, Cuba, le Kazakhstan et le Tadjikistan de ratifier et d'appliquer le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDC), dont l'Article 19 stipule que "toute personne a droit (...) de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières (...)".

L'organisation demande également aux Etats qui sont partie au PIDC (Azerbaïdjan, Biélorussie, Corée du Nord, Irak, Iran, Kazakhstan, Kirghizistan, Libye, Ouzbékistan, Sierra Leone, Soudan, Syrie, Tunisie et Viêt-nam) de respecter leurs engagements.

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©Waternunc.com 2000